Pour un organisme âgé de 145 ans, entamer une démarche afin de revoir son fonctionnement demande du courage et de l’humilité. C’est dans cette voie que s’est engagé l’Accueil Bonneau, un organisme luttant contre l’itinérance bien connu au Québec, afin d’être en mesure d’accomplir son but explicite de mettre fin à l’itinérance chronique à Montréal.
par Andréanne Chevalier
L’Accueil Bonneau, qui se dédie depuis 1877 aux personnes en situation d’itinérance à Montréal, a déjà connu des transformations et des épreuves. Cent quarante-cinq ans plus tard, il entame un nouveau processus pour recentrer sa mission; signe qu’il est toujours bien vivant et à l’écoute.
Fiona Crossling est devenue directrice générale de l’Accueil Bonneau en mars 2020, au tout début de la pandémie de COVID-19. Elle raconte que « l’organisme avait vécu dans les dernières années un moment turbulent dans son histoire, avec beaucoup de roulement. C’était le moment de renouveler quelques éléments de base, comme le fonctionnement du CA, rebâtir le comité de direction et revoir presque tout. »
L’Accueil Bonneau s’est ainsi lancé dans un projet de planification stratégique, entre autres avec l’aide du Centre de transformation du logement communautaire, qui lui a accordé 48 000 $ de son Fonds de transformation du secteur — projets locaux.
« Notre focus devient vraiment de mettre fin à l’itinérance chronique, avec les autres partenaires montréalais qui croient à ça », poursuit Fiona. « Pour ce faire, ça prend un renouvellement, non seulement dans notre [admission], mais dans la façon avec laquelle on travaille avec les gens pour qu’ils soient bien, pour qu’ils puissent se développer, et aussi dans notre fonctionnement, notre gestion des immeubles. »
Pour se renouveler efficacement, l’organisme a sollicité la participation active de différents types de personnes qui gravitent autour de lui : donateur.rice.s, bénévoles, usager.ère.s, résident.e.s et partenaires. Presque cent personnes ont été sondées et ont donné leur opinion sur, notamment, le fonctionnement de l’Accueil et sur ce qu’ils et elles perçoivent comme ses forces et faiblesses.
Pour la directrice stratégie et partenariat de l’Accueil Bonneau, Nathalie Ross, « c’est la multitude de ces éclairages qui nous permet d’avoir une meilleure idée de ce qu’on pourrait faire dans le futur pour avoir un impact plus grand sur les personnes en situation d’itinérance. » Le résultat est un virage vers une gestion plus collaborative. « On a moins le contrôle absolu. Je trouve que c’est une belle prise de risque », ajoute Nathalie.
Il était aussi très important pour l’organisme de « faire participer davantage des personnes qui ont une expérience vécue de l’itinérance dans les processus de réflexion et de décision à l’interne », précise Nathalie. Selon Fiona, l’objectif est que les personnes en situation d’itinérance soient « au cœur de ce qu’on veut faire et donc, qu’il y ait une prise de parole beaucoup plus importante que ce qu’on a connu par le passé ».
Parmi les autres objectifs de l’organisme en lien avec sa transformation organisationnelle, on compte le développement de partenariats et le développement des réflexes d’évaluation et de mesure d’impact.
COVID et réaction d’urgence
L’Accueil Bonneau souhaite fournir un accompagnement aux personnes en situation d’itinérance qui tienne compte de leurs projets de vie et favorise leur réinsertion sociale dans une optique de logement à long terme.
« Ceci dit, en COVID et en hiver où il fait des -20°C comme à l’heure actuelle, c’est clair que c’est des choses qui ne sont pas envisageables à mettre en place dès maintenant », affirme Nathalie Ross. « On est pris avec l’approche qui est promue par les gouvernements, qui [est celle des] mesures d’urgence. »
Fiona Crossling renchérit : « [Avec] la COVID, on a tous appris des grandes leçons de ce qui ne marche pas en itinérance […] Comment ça fonctionne dans l’hébergement d’urgence en ce moment, c’est qu’on va mettre des gens dans des lits et ils doivent quitter à 7h le matin, se trouver un petit déjeuner ou un dîner, après ça, il va falloir trouver un lit pour la nuit. C’est juste un cycle de non solution. »
Avec d’autres organismes, l’Accueil Bonneau travaille à trouver et à mettre en place des solutions plus efficaces et durables dans le temps et qui vont permettre de sortir des constantes situations de gestion de crise. Un des volets de ce travail collaboratif pour mieux répondre aux besoins est la gestion efficace des données (données de fréquentation, plans d’accompagnement, taux d’occupation, etc.), en préparation à l’accès coordonné aux services.
Une capacité d’hébergement bientôt doublée
L’Accueil Bonneau travaille aussi à l’établissement d’un nouvel immeuble d’hébergement, en partenariat avec la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM). Ce nouveau bâtiment, nommé Le Christin, doublera presque la capacité d’hébergement de l’organisme. Il sera situé au centre-ville de la métropole, près de l’Université du Québec à Montréal, et offrira 114 logements pour 118 personnes. Il est rare que les maisons d’hébergement de ce type accueillent plus d’une personne par logement, souligne la directrice générale de l’Accueil Bonneau.
Contrairement aux autres immeubles de l’Accueil Bonneau qui répondent à des clientèles plus homogènes, ce projet vise une mixité de profils de résidents. D’abord, parce que « c’est plus naturel », dit Fiona Crossling, en ajoutant que la mixité est essentielle pour qu’un projet de cette envergure fonctionne bien. En collaboration avec l’organisme UTILE, qui crée et promeut le logement étudiant, il y aura des places pour des étudiant.e.s à risque ou en situation d’itinérance. Il y aura aussi des logements pour des personnes de la communauté LGBTQ2+.
Si tout se passe comme prévu, Le Christin devrait ouvrir ses portes au début 2023.
« Juste Le Christin, c’est immense [comme projet] », reconnait Fiona. « Et c’est pas juste Le Christin qu’on essaie de transformer! En fait, ça se peut que Le Christin soit la partie la plus facile, parce que tout va être nouveau. On a vraiment hâte. »