Bonjour,
La financiarisation du logement. Vous en avez peut-être entendu parler dans les dernières années en visionnant le documentaire Push, de Fredrik Gertten, sorti en 2020. Ou en lisant Urban Warfare : Housing Under the Empire of Finance de Raquel Rolnik, publié en 2019, ou encore, dans Le promoteur, la banque et le rentier de Louis Gaudreau (2020).
La financiarisa-quoi? Selon la Commission des droits de l’homme des Nations unies, il s’agit du phénomène qui « se produit lorsque le logement est traité comme une marchandise — un véhicule de richesse et d’investissement — plutôt que comme un bien social ».
Il est vrai que le sujet est aride, mais il est essentiel de comprendre pourquoi, dans une société aussi riche que la nôtre, tant de personnes ne peuvent pas se permettre d’avoir un chez-soi. Et bien que la problématique soi loin d’être nouvelle, quelques événements, lectures et discussions nous ont amenés dernièrement à vouloir en parler ce mois-ci.
Le 24 janvier, Sahar Raza, du Réseau national du droit au logement, s’est adressée au Comité permanent des finances de la Chambre des communes sur le sujet.
Quelques jours plus tard, un sondage effectué au Canada par RATESDOTCA et BNN Bloomberg a révélé que 19 % des répondants qui ont acheté une propriété pendant la pandémie en possédaient déjà plusieurs autres. Un signe, probablement, qu’il s’agit pour ces propriétaires d’investissements et non de résidences personnelles.
Une description simple du phénomène serait celle amenée par la professeure de l’Université de Waterloo, Martine August, dans un article très éclairant publié en 2020 sur la financiarisation des immeubles à logements locatifs au Canada : « En cours depuis quatre décennies, la financiarisation est un processus de transformation des économies mondiales et nationales qui a de profondes répercussions sociales et spatiales. Apparaissant parallèlement à la restructuration néolibérale, le concept fait référence au rôle croissant de la finance dans les activités du capitalisme, de sorte que les profits sont de plus en plus réalisés par des moyens financiers plutôt que par la production industrielle de marchandises. »
Lorsqu’un immeuble est « financiarisé », les seules façons d’engranger plus de profit sont de réduire les dépenses liées à l’immeuble ou d’augmenter les revenus qu’il rapporte. Dans tous les cas, cela se fait au détriment des personnes qui vivent dans ces logements, qui se retrouvent à devoir quitter leur chez-soi ou à devoir vivre dans des conditions qui se détériorent.
Martine August a démontré dans son étude qu’au Canada, ce sont les provinces et territoires qui n’ont pas de mécanisme de contrôle des loyers (surprise!) qui sont les plus en proie au phénomène.
L’impact particulier de la financiarisation du logement sur les femmes a été abordé en décembre dernier au cours d’une conférence en ligne organisée par l’Alliance féministe pour l’action internationale, avec notamment Leilani Farha comme panéliste. Nous vous conseillons d’écouter cette discussion fort révélatrice.
L’ancienne Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à un logement convenable et directrice de The Shift revient notamment sur le fait que « la propriété et les lois sur la propriété ont traditionnellement et historiquement été utilisées pour créer des hiérarchies et des déséquilibres de pouvoir, entre les hommes et les femmes, entre les Blancs et les communautés autochtones, entre les cultures dominantes et les groupes minoritaires. »
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Sans évoquer explicitement la financiarisation du logement, la lettre de mandat que le premier ministre, Justin Trudeau, a envoyée au ministre du Logement et de la Diversité et de l’Inclusion, Ahmed Hussen, lui demandait de travailler pour un plan d’action comprenant l’« interdiction d’achat, par des acheteurs étrangers, de propriétés résidentielles non récréatives dans le marché du logement canadien, de sorte que les logements ne restent pas inoccupés et non disponibles pour les Canadiens; [l’]appui à l’examen et à l’éventuelle réforme du traitement fiscal des sociétés de placement immobilier; [et l’]élaboration de politiques pour limiter les profits excessifs réalisés dans les immeubles de placement tout en protégeant les petits propriétaires indépendants ».
La Société canadienne d’hypothèques et de logement poursuit, quant à elle, ses travaux dans le cadre du laboratoire de solutions Financiarisation du logement.
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Comme l’a écrit le professeur émérite de la University of the Fraser Valley, John Belec, dans une lettre d’opinion publiée au début janvier dans le Globe and Mail : « Préparez-vous à beaucoup plus entendre parler de la financiarisation du logement en 2022. »
C’est une évidence, mais pour mieux s’attaquer à une problématique, il faut commencer par mieux la comprendre. Et pour la comprendre, il faut en parler. Qu’on en discute davantage peut donner l’inquiétante impression que la situation prend de plus en plus d’ampleur — ce qui n’est sans doute pas faux. Mais c’est aussi un point de départ pour agir et pour être mieux outillé.e.s pour trouver des solutions.
Bon mois de février!
Ce texte fait partie de l’infolettre InfoCentre du mois de février. Pour vous abonner à notre infolettre mensuelle, cliquez ici.
(Photo par André Querry)