Le 15 octobre dernier, la Ville de Vancouver a approuvé à l’unanimité un plan d’un milliard de dollars pour acquérir l’ensemble des 105 hôtels à (Single Room Occupancy ou SRO) pour les transformer en logements sociaux. Les groupes de défense des droits des locataires applaudissent cette décision historique qui, selon eux, met fin à des décennies de politiques désastreuses pour le logement communautaire. C’est la crise sanitaire de la COVID-19 qui a finalement braqué les projecteurs sur la situation et poussé les acteurs municipaux à agir.
« C’est un tournant majeur », affirme Wendy Pedersen, activiste pour le droit au logement qui a fondé la Downtown Eastside SRO Collaborative Society. « Je ne pense pas qu’il y ait eu une mesure aussi audacieuse dans notre quartier [qui abrite la plupart de ces hôtels] depuis les années 1980 », fait-elle valoir. Wendy Pedersen estime que la décision de la Ville de Vancouver a finalement fait écho aux revendications des acteurs du milieu communautaire et permettra d’éviter que des milliers de personnes se retrouvent à la rue au cours des dix prochaines années.
La Ville de Vancouver envisage de demander des fonds aux gouvernements provincial et fédéral pour acheter et rénover ces bâtiments dont une bonne partie est dans un état de délabrement. La municipalité souhaite aussi trouver des stratégies pour contrôler le prix des loyers et renforcer les protections pour les locataires.
Une problématique sortie de l’oubli
Les hôtels à occupation simple contiennent de petites unités de 100 pieds carrés ainsi que des salles de bains partagées. Construits au début du 20e siècle pour les travailleurs saisonniers, ces hôtels sont devenus par la suite la demeure des populations les plus vulnérables et démunies de la Ville et abritent maintenant autour de 7 000 personnes. Ce parc de logements abordables, dont la moitié est entre les mains de propriétaires privés, est un maillon important dans la chaine du logement puisqu’il constitue souvent la solution de dernier recours avant l’itinérance.
Les acteurs du milieu du logement communautaire luttent depuis longtemps pour sauvegarder ces bâtiments afin de garantir la disponibilité de chambres à coût modique. Mais beaucoup d’unités se perdent parce que les propriétaires préfèrent les revendre à des investisseurs qui les relouent à un prix considérablement plus élevé après avoir fait quelques rénovations cosmétiques. Selon Wendy Pedersen, la stratégie privilégiée par les propriétaires depuis des années est de « laisser les bâtiments se délabrer pour qu’ils puissent mettre les locataires à la porte et augmenter les loyers ».
La pandémie de la COVID-19 a récemment levé le voile sur cette situation qui a sombré dans l’oubli pendant des décennies. Dans un rapport publié en juin, en plein milieu de la pandémie, la Ville a reconnu l’urgence d’agir : « La crise des opioïdes, la pandémie de la COVID-19 et la persistance du phénomène de l’itinérance accentuent l’urgence pour le gouvernement d’investir massivement dans la revitalisation et le renouvellement des SRO et la protection de ce parc de logements pour les populations démunies. »
La SRO Collaborative Society a été parmi ceux qui ont poussé la Ville à agir. À l’aide d’un sondage hebdomadaire sur la situation de la COVID-19 dans les hôtels, l’organisme a pu mettre à nu les conditions qui y règnent et partager ces informations avec les responsables municipaux. Ceux-ci n’avaient alors d’autre choix que de se pencher sérieusement sur la question, estime Wendy Pedersen : « La Ville a réalisé que ces locataires sont les plus vulnérables parce qu’ils partagent des salles de bain dans des conditions horribles, vivent dans la pauvreté et n’ont plus accès à leurs services à cause de la pandémie. »
Rendre le pouvoir aux locataires
Le Centre de transformation du logement communautaire a joué un rôle important dans le soutien des efforts de la SRO Collaborative Society. Par le biais de son Fonds d’initiative d’aide communautaire aux locataires, le Centre investit 150 000 $ sur 3 ans dans un projet pilote de la SRO Collaborative Society qui se déroule dans 8 hôtels à occupation simple. Le projet vise à donner aux locataires les outils et les savoirs nécessaires pour qu’ils puissent faire valoir leurs droits, notamment par la création de comités de locataires et le partage de connaissances et de services de soutien. La décision de la Ville de Vancouver prouve que ces efforts portent déjà leurs fruits, estime la chargée de programme au Centre, Chrissy Diavatopoulos : « Cela a créé un changement énorme qui aura des répercussions majeures, et nous y avons contribué. »
L’organisme compte entre autres intégrer l’élément des comités de locataires dans les futurs contrats qui seront signés avec les propriétaires. Pour Chrissy Diavatopoulos, c’est « une façon intéressante d’incorporer les comités de locataires et l’éducation sur les droits des locataires d’une manière non menaçante », et selon elle, cela aidera les locataires à mieux s’impliquer et à améliorer leurs conditions de vie.
Ultimement, Wendy Pedersen aimerait que les locataires soient aux commandes des hôtels que la Ville souhaite acquérir dans l’avenir. La subvention du Centre de transformation du logement communautaire donnera un coup de pouce important pour mener à bien cette vision, explique-t-elle: « Le financement soutiendra notre organisateur qui travaillera avec les locataires dans 8 hôtels différents pour montrer ce qui est possible. À la fin de ce processus, nous serons en mesure de démontrer le pouvoir des comités de locataires. »
Les locataires aux commandes de leur avenir
Les acteurs du milieu du logement communautaire considèrent la décision de la Ville de Vancouver comme une grande victoire. « Mais il reste beaucoup de travail à faire », estime Wendy Pedersen. Elle croit que l’autonomisation des locataires est la voie d’avenir et prévoit que les bailleurs de fonds soutiendront de plus en plus cette approche inclusive et démocratique qui vise à soutenir les populations vulnérables. Elle souhaiterait également que les organismes communautaires s’inspirent de ce modèle: « Je pense que les autres groupes de défense des droits des locataires […] devraient venir frapper à notre porte parce que ce qu’on fait pourrait être répliqué partout! »
Chrissy Diavatopoulos abonde dans le même sens : « Lorsqu’on inclut les gens concernés dans le processus de prise de décision et qu’on leur demande leur opinion […], le résultat peut avoir beaucoup d’impact. » Elle espère que d’autres projets ambitieux comme celui de la SRO Collaborative Society verront le jour et auront un impact significatif sur l’avenir du logement communautaire au Canada.