Le rapport annuel de la SCHL sur le logement dans le Nord brosse un sombre tableau du marché de l’habitation dans les territoires nordiques du Canada, où une grande part des ménages souffrent du manque de logements adaptés, adéquats et abordables.
Inutile de chercher un titre accrocheur, la situation du logement de bien des peuples autochtones du Canada est un cauchemar qui dure depuis un siècle : habitations couvertes de moisissures, baraques non isolées, électricité intermittente et manque d’eau potable — dans un pays qui contient 20 % des ressources en eau douce de la planète ! — constituent les symptômes évidents d’une crise du logement persistante qui afflige les populations des Premières Nations, de Métis et d’Inuits
« C’est comme si nous devions mendier sur nos propres terres », a déclaré Conrad Ritchie, conseiller de bande de la Première nation Saugeen, dans un article du Guardian qui met en lumière le sort des résidents de Cat Lake, une réserve isolée du nord de l’Ontario. La communauté, qui abrite environ 700 personnes, a dû déclarer l’état d’urgence en raison du danger associé à la dégradation des logements. Plus de 90 maisons ont été condamnées en raison d’un problème de moisissure noire. Sur les photos, on dirait que le village a traversé l’Apocalypse : dans des cabanes délabrées, des habitants luttent contre les moisissures à la place de hordes de zombies.
Cette situation est loin d’être un cas isolé. Il y a beaucoup de Cat Lake au Canada. Par exemple, la Première nation Neskantag reçoit un avis de faire bouillir l’eau depuis 25 ans. Au Nunavut en 2015, le taux d’infection par la tuberculose chez les Inuits était 26 fois plus élevé que la moyenne nationale, en partie attribuable au surpeuplement dans les logements.
Dans les territoires nordiques du Canada, la pénurie de logements, leur qualité variable, leur culture inappropriée, le manque de logements communautaires et les coûts élevés de construction et d’entretien, aggravent la situation, selon le Rapport sur le logement dans le Nord annuel de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) sur le logement nordique.
Le rapport de 2020, qui porte sur les conditions du marché de l’habitation dans les trois grands centres des territoires (Whitehorse, Yellowknife et Iqaluit), révèle que l’abordabilité demeure parmi les problèmes les plus pressants dans les marchés de l’habitation du Nord.
Défis particuliers
Une grande proportion des logements dans le Nord proviennent de fournisseurs de logements territoriaux, tels que Société d’habitation du Yukon, Société d’habitation des Territoires du Nord-Ouest et Société d’habitation du Nunavut.
Comme on pouvait s’y attendre, il existe d’énormes lacunes dans tout le continuum du logement des trois grandes agglomérations du Nord, entraînant des coûts de logements exorbitants. Ainsi, à Iqaluit, un loyer moyen de deux chambres coûte 2 736 $ par mois, soit 33 000 $ par année.
Quelques faits saillants du Rapport sur le logement dans le Nord
WHITEHORSE: Le Yukon ayant la population la plus âgée des trois territoires du Canada, sa croissance démographique a été largement soutenue par les flux migratoires. Habituellement maintenue par les flux migratoires, la croissance démographique du Yukon est désormais freinée par la COVID-19. Le prix du loyer sur le marché est sans doute hors de portée pour beaucoup de résidents. En 2018, environ 18 % des ménages de Whitehorse ne pouvaient pas obtenir un logement du marché sans aide. Le loyer moyen d’un appartement de 2 chambres s’élève à 1 227 $. Par conséquent, 12,7 % des ménages ont des besoins impérieux en matière de logement.
« Un ménage ayant des besoins impérieux en matière de logement est un ménage dont le logement est considéré inadéquat, inabordable ou d’une taille non convenable, et dont le niveau de revenu est insuffisant pour permettre de payer les frais de logement d’un logement approprié et adéquat dans sa communauté. »
Statistique Canada
D’autres observations du rapport :
- Le vieillissement de la population et le ralentissement de la migration internationale ont modéré la demande de logements locatifs à Whitehorse.
- L’offre limitée de logements existants et la persistance du marché favorable aux vendeurs ont contribué à la hausse des prix pour de nombreuses formes de logements
- Sur le marché du neuf, les problèmes d’abordabilité ont accru l’intérêt pour les options moins coûteuses dans le segment des logements collectifs.
YELLOWKNIFE: En 2019, la population des Territoires du Nord-Ouest se chiffrait à 44 826 habitants, dont environ 47 % vivaient à Yellowknife. Dans le territoire et à Yellowknife, le tiers de la population était âgée de 25 à 44 ans et les deux tiers, de 25 ans et plus. L’emploi a diminué depuis le début de la pandémie : le ralentissement économique incitera un plus grand nombre de travailleurs à quitter le territoire. On s’inquiète de la réduction de la population active et de sa capacité de subvenir aux coûts liés au vieillissement de la population. Le loyer moyen des appartements de deux chambres s’est établi à 1 744 $ en 2019, tandis que 10,6 % de la population de Yellowknife éprouvait des besoins impérieux en matière de logement.
D’autres observations :
- L’amélioration de l’emploi chez les jeunes adultes et les défis liés à l’abordabilité sur le marché de la propriété résidentielle ont stimulé la demande de logements locatifs.
- Les prix des maisons se sont repliés, car la diminution de l’afflux migratoire et le vieillissement de la population ont nui à la demande de logements existants.
- Le recul de la population de jeunes adultes (groupe des accédants à la propriété), les coûts de construction élevés et le manque de disponibilité des terrains ont entraîné une baisse des mises en chantier.
IQALUIT, NUNAVUT: Avec une population d’environ 39 000 habitants, le Nunavut compte une population relativement jeune, avec un âge médian de 26,2 ans, et près de 50 % des habitants ont 25 ans ou moins. L’économie du Nunavut repose principalement sur les ressources, ce qui englobe un important secteur minier. Comme ailleurs dans le Nord, le territoire dépend du prix des ressources naturelles et fait face à des défis en matière de formation et de rétention de la main-d’œuvre ; ces facteurs ont une incidence sur les perspectives économiques à long terme du territoire
À Iqaluit, « … la disponibilité des terrains et la pénurie de main-d’œuvre demeurent un défi pour la création de nouveaux ensembles de logements dans la région. », note le rapport. Le loyer moyen d’un appartement de 2 chambres est de 2 736 $, tandis que 18,1 % des ménages ont des besoins impérieux en matière de logement.
D’autres observations :
- La croissance démographique au Nunavut contribue à la demande de logements dans l’ensemble du territoire, mais des mesures de soutien sont nécessaires pour assurer la disponibilité des logements publics et des logements du marché.
- La demande de logements locatifs demeure importante, les taux d’inoccupation des logements locatifs du marché et des logements sociaux et abordables étant presque nuls.
Quoi faire ?
« Le rapport de la SCHL offre une vue d’ensemble du marché de l’habitation dans le Nord canadien ; c’est un début », affirme Stéphan Corriveau, directeur général du Centre de transformation du logement communautaire. « Nous pouvons analyser les résultats et dégager les interventions possibles en tant qu’agents du secteur du logement communautaire. »
Stéphan Corriveau ajoute : « Toutefois, il est temps de laisser les fournisseurs de logements autochtones montrer la voie. Il est temps de comprendre comment faire les choses selon leurs termes, leur culture et selon les réalités des territoires du nord. »
C’est exactement ce qu’a fait le Caucus autochtone de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine (ACHRU) en octobre. Selon leur rapport — la Stratégie nationale sur le logement autochtone, pour les Autochtones et par les Autochtones —, il faut passer à l’action : mettre en place une approche globale pour le logement autochtone urbain, rural et nordique « … afin d’éliminer le manque criant de logements auquel sont confrontés les peuples autochtones du Nord canadien ». Les auteurs ont une vision très claire des moyens pour y arriver :
« Les niveaux de financement doivent tenir compte de l’augmentation des coûts de construction et de transport ainsi que de la faible économie d’échelle. De plus, toute stratégie devra tenir compte de la grande proportion de sans-abris autochtones ; la stratégie devra contenir un engagement continu du gouvernement fédéral à fournir aux Premières Nations qui sont autonomes, les fonds dont elles ont tant besoin pour le logement. », peut-on lire dans une proposition de stratégie (en anglais seulement) adressée au gouvernement sur le site du Caucus autochtone de la ACHRU.
Bien qu’une proposition de 30 pages puisse sembler ambitieuse, elle obtient un large appui. En effet, le Caucus autochtone de l’ACHRU a récemment publié les résultats d’un sondage mené par Abacus Data sur les croyances des Canadiens à l’égard du logement autochtone. Les résultats sont encourageants : plus de 60 % des personnes interrogées appuieraient une stratégie nationale axée sur l’état du logement des peuples autochtones vivant en milieu urbain et rural.
Dans son article sur cette consultation, Margaret Pfoh, PDG de l’Aboriginal Housing Management Association en Colombie-Britannique et membre du conseil d’administration du Centre, affirme que « … les données prouvent qu’une majorité de Canadiens reconnaissent la réalité douloureuse des peuples autochtones. Il est plus que temps que le gouvernement étende sa responsabilité morale et agisse. C’est le moment pour le gouvernement canadien d’appliquer des changements structurels et d’éliminer les pratiques coloniales qui affaiblissent les peuples autochtones [et les empêchent] d’accéder au logement. »
D’ici là, nos yeux sont tournés vers le Nord.
Cet article est le premier d’une série qui explorera les défis liés à l’accès et à la prestation de logements abordables dans les territoires nordiques du Canada.