Dans le domaine du logement, les réalités autochtones sont souvent ignorées ou mal comprises dans la culture occidentale, et ce, même dans les programmes de défense des droits comme ceux de Rent Smart, qui visent à former et habiliter les locataires. Le Aboriginal Friendship Centre of Calgary réconcilie ces deux mondes en adaptant un programme de Rent Smart afin de faire une place aux cultures et valeurs autochtones.
Rosemary Flamand était en train d’effectuer un dépôt pour un appartement qu’elle avait récemment visité à Sudbury, en Ontario, quand les choses ont pris un mauvais tournant. Le propriétaire, remarquant qu’elle était Autochtone, lui a dit : « si tu loues une fois à un couple d’Autochtones, 15 Indiens suivent. » Puis, il lui a demandé des références, mais a refusé de les prendre quand elle a appelé pour les lui donner quelques heures plus tard.
Flamand a fait une plainte au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, qui a ordonné au propriétaire de lui payer 9 000 $ en dédommagement, trois ans plus tard. L’expérience vécue par Flamand n’est pas unique chez les locataires autochtones qui cherchent un logement. Cette histoire avait été racontée dans un reportage de la CBC en 2019 qui a examiné l’étendue du problème. Un couple de Toronto y décrit aussi la recherche d’un appartement comme étant « humiliante », en expliquant qu’à cause de leur identité autochtone, « certains propriétaires voulaient s’assurer que le couple ne boirait pas [d’alcool] sur la propriété ».
Des préoccupations par rapport aux cérémonies de purification — le « smudging », en anglais, qui est une pratique autochtone commune visant à nettoyer et éloigner l’énergie négative en brûlant des herbes comme la sauge ou le cèdre — et à des cérémonies de tambour ont aussi été mises de l’avant, alors que des propriétaires insistaient sur l’aspect non-fumeur de la propriété et étaient inquiets au sujet du dérangement potentiel causé par le bruit.
Mais même en mettant la discrimination et les biais de côté, les mésententes culturelles ajoutent une couche de complexité supplémentaire pour les locataires autochtones qui souhaitent trouver et garder un logement adéquat. Les gens ne savent souvent même pas quand leurs droits sont bafoués, ce qui empire d’autant plus les choses.
La connaissance est un pouvoir
«[L’éducation aux droits] devrait faire partie du curriculum scolaire, selon moi», dit la directrice des opérations du Centre d’amitié autochtone de Calgary, Melissa Roy.
Alors que le logement est un sujet très personnel, ce n’est pas une surprise que les disputes avec les propriétaires soient souvent au cœur des problèmes auxquels font face les usagers des services du centre d’amitié.
« Ce n’est pas tout le monde qui parle de la même façon, qui a les mêmes références. Et, encore plus important, les expériences de vie sont différentes. Si tu pars d’une réserve pour aller en milieu urbain, c’est un choc culturel en soi. Le mode de vie sur réserve est intergénérationnel. Quand tu arrives en ville, les mêmes soutiens ne sont pas facilement accessibles. »
Plusieurs se tournent vers leur centre d’amitié local pour intégrer une communauté et obtenir des conseils. Roy dit du centre d’amitié, qui fournit des programmes culturels qui sont essentiels à la population autochtone urbaine de Calgary que « c’est un espace sécuritaire pour que les personnes puissent explorer la culture, et c’est ce que fait le mouvement des centres d’amitié partout. Il y en a 221 au Canada, dans différentes communautés. Nous avons peut-être des visions et des mandats différents, mais le cœur de nos activités est la reconnexion culturelle. »
L’étendue de la confusion au sujet des droits des locataires a incité les employés du centre d’amitié de Calgary à élaborer du contenu sur des sujets de base, comme les cérémonies de purification, qui sont souvent méconnues des propriétaires allochtones et associées à la cigarette ou à la marijuana. Ils ont toutefois rapidement réalisé qu’il y avait là une plus grande opportunité. Le centre d’amitié s’est alors associé au programme de formation des locataires Rent Smart pour mettre les choses en branle.
Rent Smart fonctionne d’après la conviction qu’être un bon locataire n’est pas une compétence innée, et que les aptitudes en logement et en compétences de la vie courante peuvent être enseignées. Le but? Selon son site web, Rent Smart vise à former des « locataires habiletés qui comprennent leurs droits et leurs responsabilités, qui communiquent efficacement avec les propriétaires, les voisins et les colocataires, et qui savent faire un budget afin de conserver leur logement et prendre soin de leur chez-soi. »
Dans son offre de cours, Rent Smart offre le programme RentSmart Educator (« éducateur RentSmart »), qui donne des attestations à des individuset à des organisations communautaires pour qu’ils puissent donner des cours Rent Smart dans leurs communautés; ce qui est particulièrement intéressant pour les usagers du centre d’amitié.
« Nous voyons cela comme une occasion pour les jeunes de prendre un moment, d’intervenir et de devenir responsables », dit Roy à propos de l’opportunité d’apprendre au sujet de la location de logement et d’obtenir une attestation pour enseigner ces aptitudes tout en gagnant un revenu. « Certains peuvent démarrer leur entreprise, ils peuvent commencer à aider, et c’est une belle chose. »
Un regard autochtone
Mais avant tout, un regard autochtone devait être appliqué au matériel existant de Rent Smart. Le Centre de transformation du logement communautaire a accordé une subvention de 50 000 $ pour la création de ce nouveau matériel et pour la formation, ce qui sera certainement utile à la communauté autochtone de Calgary pour les années à venir.
« La subvention nous donne l’occasion d’approfondir notre lien à la communauté, et [d’aller plus loin] dans les ressources que nous pouvons offrir », explique Roy.
Cette adaptation du programme Rent Smart (originalement centré sur les réalités occidentales) sera offerte à 30 jeunes Autochtones qui ont affirmé leur intérêt pour une démarche de guérison personnelle et un désir d’apprendre à devenir de bons locataires ou propriétaires. Roy est catégorique à propos de la nécessité d’autochtoniser le programme existant.
« Nous vivons de manière intergénérationnelle. Un cousin va venir habiter [avec vous] pour un moment, ou vous hébergez votre tante qui a des soucis médicaux. Mais cela devient un problème quand vous êtes locataire parce que les propriétaires ne veulent pas voir la famille élargie tout le temps. »
« Mais pour les Autochtones, et pour d’autres cultures aussi, c’est comme ça qu’on vit, c’est comme ça qu’on s’épanouit. Alors, nous devons trouver une façon d’aider les gens à se protéger de tout type d’idéologie occidentale néfaste au sujet de qui il est possible de recevoir chez soi. »
Le programme autochtonisé se concentrera sur les concepts de « loi naturelle » — essentiellement, la croyance que certaines valeurs sont inhérentes à la nature humaine — et leur relation à la réussite en logement.
« Votre résidence est votre nid. Votre nid est votre foyer. C’est là où vous guérissez, dormez, où votre famille grandit, note Roy. Si vous ne faites pas ce lien, la compréhension du matériel [de formation] peut se perdre dans les conceptions occidentales du logement et de ce à quoi ça doit ressembler. »