La stratégie nationale sur le logement (SNL) du gouvernement fédéral, en place depuis cinq ans, a été sévèrement critiquée par Karen Hogan, la Vérificatrice générale du Canada, dans son rapport déposé le 15 novembre. Selon elle, après avoir dépensé des milliards de dollars, le gouvernement fédéral n’est pas en mesure d’évaluer si sa lutte contre l’itinérance est efficace.
Le fait principal qu’elle énonce est juste, à savoir que ni la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) ni Infrastructure Canada ne connaissent exactement le nombre précis de personnes en situation d’itinérance. Ce nombre est une cible mouvante (on ne s’enregistre pas comme itinérant.e dans un répertoire quand on aboutit à la rue et on n’envoie d’avis à personne quand on réussit à retrouver un logement stable). Toutefois, l’analyse qu’elle en tire est erronée.
Selon Mme Hogan, la SCHL ainsi qu’Infrastructure Canada, les deux principales agences responsables de mettre en œuvre la SNL, sont incapables d’évaluer l’impact de leurs efforts sur la lutte à l’itinérance, ce qui est fort différent de ne pas savoir combien de personnes sont en situation d’itinérance. Chaque dollar qui a été dépensé est retraçable et il est possible d’en identifier les résultats positifs. Des milliers de logements ont été construits depuis 2017. Nous savons où ils ont été construits, combien ils ont coûté et qui les habite. Il est donc faux de prétendre que des milliards de milliards de dollars ont été dilapidés sans contrôle comme le laisse entendre le rapport.
Il n’est, par ailleurs, pas très raisonnable de faire reposer toute la responsabilité de la crise du logement sur ces deux intervenants. C’est un phénomène complexe et les facteurs qui l’ont entrainé ne sont pas tous contrôlés par la SCHL ou Infrastructure Canada. Elles ne sont pas responsables des politiques fiscales, de la hausse des taux d’intérêt, de l’inflation ou des deux années de pandémies que nous venons de traverser.
Les angles morts du rapport
Ce qui aurait été intéressant de voir dans le rapport de la Vérificatrice générale, c’est une réflexion sur les objectifs qui ont été fixés en 2017. Il est surprenant de décider de ne réduire l’itinérance chronique que de 50 %. Sachant qu’approximativement 80 000 personnes étaient en situation d’itinérance en 2017, on en déduit qu’il serait acceptable que 40 000 Canadiens et Canadiennes n’aient nulle part où se loger.
Un autre enjeu qu’il aurait été intéressant de soulever, c’est l’insuffisance des ressources allouées en 2017 pour atteindre cet objectif. Pendant presque 30 ans, il n’y a eu que très peu d’investissements publics de la part du gouvernement fédéral pour pallier la détérioration de l’offre de logement. Aujourd’hui, on demande à la SCHL et à Infrastructure Canada de corriger la situation avec un budget qui ne tient pas compte du retard accumulé.
À cela s’ajoute la difficulté de s’attaquer à une cible en mouvement. D’abord à cause du système de santé qui craque de partout : les enjeux de santé mentale ont augmenté dramatiquement avec la pandémie et les services ne suffisent pas à la demande. Ensuite, parce que le prix des loyers a connu une hausse vertigineuse depuis 2017 provoquée par un phénomène spéculatif que les politiques fiscales n’ont pas su maîtriser. À eux seuls, ces deux phénomènes ont généré de la précarité pour des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de personnes dont plusieurs milliers sont devenues itinérantes.
Plus de moyens et d’agilité pour sortir de la crise
Il faut donc d’abord s’assurer que les moyens alloués pour lutter contre l’itinérance soient à la mesure des cibles qu’on se fixe. La SNL porte ses fruits. Ils ne sont certes pas parfait, mais dans l’ensemble, ce n’est pas les interventions qui ont été faites qui sont mauvaises, ce sont les interventions qu’on n’a pas pu faire par manque de moyens qui sont problématiques.
Il faut ensuite se doter de stratégies plus agiles. Les délais de mise en place des programmes sont trop longs. Une agence gouvernementale consacre facilement de deux à trois ans à l’analyse de données avant de lancer un programme. Toutefois, les dossiers de l’itinérance en particulier et du logement en général sont extrêmement dynamiques. Ceci entraine un décalage important des programmes public avec la réalité à laquelle elles tentent de répondre.
La capacité d’intervention de la SCHL et d’Infrastructure Canada pourrait être améliorée si l’on intégrait davantage les organisations de première ligne aux processus d’élaboration et de mise en œuvre des programmes. Il faut profiter de l’expertise, de la compétence, de l’énergie et de la volonté des groupes communautaires qui offrent les services aux personnes en situation d’itinérance. En ce moment, les décisions sont prises derrière des portes closes par des appareils bureaucratiques. Ces derniers ne jouissent pas de la flexibilité nécessaire pour agir rapidement en mode dynamique et adapté à une réalité en constante évolution. L’agilité des organismes de première ligne est un avantage de taille dont les autorités politiques, à la fois fédérales, provinciales et municipales, auraient intérêt à intégrer à leur arsenal de lutte contre la crise.
Il existe un certain nombre d’expériences en ce sens, qui demeurent modestes, mais qui sont en train de faire leurs preuves. Le gouvernement a signé des ententes-cadre avec des organismes du secteur du logement communautaire, le Centre de transformation du logement communautaire en fait partie, afin de profiter leur agilité organisationnelle. C’est une approche proactive réduisant les enjeux de lourdeur administrative propres aux agences gouvernementales. Les processus d’allocation et de définition des règles qui en sortent sont dynamiques et les programmes en constante évolution, ajustés en fonction de leur validation sur le terrain. Dans ce modèle, le rôle des agences gouvernementales est de fixer les cibles et de contrôler les résultats produits par le secteur.
Quel avenir pour la Stratégie nationale sur le logement ?
Le problème et le grand risque auquel nous sommes confrontés avec le rapport de la Vérificatrice générale, c’est de jeter le bébé avec l’eau du bain. Si les partis politiques de l’opposition se saisissent de ces conclusions pour se débarrasser de la SNL, nous risquons un recul dommageable.
Les milliers de logements qui ont été construits depuis cinq ans existent et profitent à des dizaines de milliers de Canadiens et de Canadiennes. Nous ne les aurions pas eus sans la SNL. Il y a place à la critique ; la stratégie ne répond pas à tous les problèmes. Sans changement de rythme dans l’intervention et sans ajouter des moyens mieux ajustés à la réalité, nous n’atteindrons pas la cible de 50 %. Il demeure cependant que la SNL est un pas dans la bonne direction.
Stéphan Corriveau
Directeur général du Centre de transformation du logement communautaire
Écoutez l’entrevue accordée à l’émission Panorama de Radio-Canada