Le cohabitat pourrait agir comme remède au problème d’isolement social vécu par plusieurs — qu’ils soient jeunes ou moins jeunes — et permettrait de réduire l’empreinte humaine sur la planète. Mais les projets de ce type sont encore peu nombreux au Canada, et ils peuvent mettre beaucoup de temps à voir le jour. L’OSBL Village Urbain est présentement en développement d’un projet de cohabitat dans la région métropolitaine de Montréal, et vise à « professionnaliser » ce type de projets.
«L’idée [de Village Urbain] est partie du fait qu’on trouve que le logement tel qu’il est conçu aujourd’hui n’est pas aligné avec notre façon de vivre ou les besoins de la société », affirme Estelle Le Roux Joky, la directrice générale et cofondatrice de Village Urbain. Elle évoque le fait qu’on connait souvent peu son voisinage, que les logements sont de plus en plus petits alors que leurs coûts augmentent et qu’il faut trouver des solutions aux enjeux environnementaux tels que l’étalement urbain.
Le cohabitat est un modèle de communauté qui a vu le jour au Danemark, dans les années 1960. Il s’agit d’un ensemble d’habitations privées qui s’articulent autour d’espaces communs. « C’est plus qu’un logement, c’est un mode de vie », ajoute Estelle.
Même si le cohabitat est axé sur le partage et la communauté, et que les cohabitants sont consultés sur différents aspects du projet, nul n’est obligé de participer à tout, tout le temps, et la vie personnelle des cohabitants est respectée.
« [Dans un] cohabitat, les logements privés sont réduits au strict minimum, pour maximiser les espaces et les ressources en commun », précise Estelle. En plus des logements privés, on y trouve, par exemple, des espaces de jeux, une cuisine, des espaces de bureaux ou des ateliers communs, tout comme des chambres d’invités pouvant être réservées et qui sont mises à la disposition de tous les cohabitants. Parmi les ressources qui peuvent être partagées, on pense à des outils, à des voitures ou à toute autre chose qui correspond à un besoin identifié par la communauté.
En plus de renforcer la notion de communauté, le fait de partager des espaces réduit l’empreinte écologique du cohabitat. « On vient réduire le nombre de pieds carrés moyen par habitant », fait valoir Estelle Le Roux Joky. Le volet développement durable est d’ailleurs au cœur du projet envisagé par Village Urbain.
Le Centre de transformation du logement communautaire a accordé 50 000 $ pour appuyer Village Urbain dans une étude de faisabilité pour ce cohabitat abordable.
« Professionnaliser » le modèle
Le modèle de cohabitat est toutefois encore peu commun au Canada. La Colombie-Britannique, avec plus de deux douzaines de projets du genre, arrive en tête de peloton du nombre de cohabitats au pays, mais seulement une poignée de cohabitats ont été réalisés dans les autres provinces. Selon le Réseau canadien de cohabitation, environ 160 communautés de cohabitation ont été mises sur pied en Amérique du Nord depuis 1991, et une centaine seraient présentement en développement.
Une des raisons pour lesquelles ces projets sont peu nombreux a peut-être à voir avec le fait que le processus de création d’un cohabitat peut être très long. Cohabitat Québec, un premier — et bel exemple — du genre dans la province, a mis 10 ans avant d’accueillir les premiers habitants dans ses 42 logement en 2013. Bien que porté par des citoyens motivés et optimistes, son parcours a connu son lot de difficultés.
C’est pourquoi Village Urbain — qui est encore à la recherche du lieu précis où établir son projet — vise à « professionnaliser la construction de cohabitat », afin de permettre au plus grand nombre de personnes d’y vivre. D’après Estelle Le Roux Joky, « monter un projet immobilier, ce n’est pas simple, et ce n’est pas vrai qu’un groupe de citoyens qui n’est pas expérimenté peut faire ça assez simplement. Donc, le résultat, c’est qu’il y a un taux d’échec vraiment important ». Énormément de projets de cohabitat menés par des citoyens finissent par ne jamais se concrétiser, dit-elle. « Les gens finissent par se décourager, parce que ça prend du temps, c’est compliqué, et parce que ça prend aussi beaucoup d’argent. »
« Un des enjeux clés dans ce genre de projet, c’est l’appropriation des futurs cohabitants de leur milieu de vie, poursuit Estelle. [On veut] essayer de faire un maximum de choses en amont de la mobilisation citoyenne, pour décharger au maximum les citoyens, mais tout en les impliquant sur des aspects clés. Comme par exemple, avec Sid Lee Architecture, on est en train de monter un genre de programme de co-conception architecturale. »
Village Urbain s’est ainsi associé à un « comité aviseur » composé de professionnels œuvrant dans les domaines du logement communautaire, de l’architecture et de l’immobilier, qui l’appuiera dans ses démarches. Estelle Le Roux Joky, quant à elle, possède un MBA en Finance et a longtemps travaillé dans ce secteur. Elle a quitté ce domaine pour co-créer Village Urbain avec Pascal Huynh et s’y consacrer.
Le fondateur et directeur général de la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal (connue sous le nom de la SHAPEM), Jean-Pierre Racette, est parmi ceux qui soutiennent et conseillent Village Urbain. Fort de son expérience de plus de 30 ans dans le domaine du logement sans but lucratif, et avec sous son aile 1900 logements et 100 millions de dollars d’actifs, il trouve le projet très stimulant, mais reconnait que « l’habitation, c’est d’une complexité inouïe », où s’entremêlent la construction, le rapport avec les gens, les dynamiques sociales, le financement, les rapports gouvernementaux, les subventions aux locataires… Selon lui, « pour gérer [cette] complexité, il faut de l’expertise ».
Démarrer un nouveau projet est donc un immense défi. Mais il croit au potentiel de Village Urbain. « Il y a eu une communion de visions entre Estelle et moi. On plaçait le problème [de l’habitation] de la même façon […]. [Il y a des] affinités fortes entre nos modèles de développement, [notre idée] de construire des communautés […] Pour moi, il faut innover. »
Village Urbain veut offrir une mixité d’habitations où vivront des propriétaires occupants et des locataires. Une part sera constituée de logements abordables. « L’idée c’est de pouvoir répondre à différents besoins », précise Estelle.
Jean-Pierre Racette renchérit : « [il faut un] continuum où ton parc immobilier est utilisé pour améliorer la condition de l’habitation sur un territoire. Le pire défi qu’on a au niveau de l’habitation, c’est le vivre-ensemble. Le projet d’Estelle peut régler [cet enjeu]. »
La photo illustrant l’article est une photo de Cohabitat Québec. Il s’agit du premier cohabitat ayant vu le jour au Québec, en 2013. Crédit : Cohabitat Québec