Le mois dernier, les membres du Réseau québécois des OSBL d’habitation (RQOH) et des acteurs clés du secteur se sont réunis lors du colloque « Parce que l’avenir nous habite ». Ce rendez-vous essentiel a permis de mettre en lumière des idées novatrices, des projets inspirants et des solutions audacieuses pour répondre à une question cruciale : comment atteindre 20 % de logements locatifs communautaires au Québec d’ici 15 ans ?
Un mouvement en pleine transformation
Depuis 1996, le secteur de l’économie sociale et du logement communautaire a parcouru un long chemin. Lors du colloque, les participants ont réfléchi à l’identité de ce mouvement, cherchant à aller au-delà de la gestion de crise pour devenir une véritable réponse systémique aux problèmes structurels d’accessibilité au logement.
Certains, comme c’est le cas pour le Centre, pensent que ce changement se réalisera en passant d’une logique réactive à une posture proactive et propositionnelle.
L’objectif ambitieux de 20 % repose sur une vision à long terme, qui nécessite de penser différemment. Il ne s’agit plus seulement de demander ce que les gouvernements peuvent faire, mais de collaborer pour offrir des solutions concrètes et durables aux communautés.
Atelier « Objectif 20 % » : entre ambition et pragmatisme
L’atelier, dédié à réfléchir les actions à prendre afin d’atteindre 20 % de logements locatifs communautaires, a permis des discussions riches en perspectives. Plusieurs intervenants ont exposé leurs visions, mettant en lumière les défis structurels et les solutions envisageables pour transformer cette ambition en réalité.
Selon les estimations, il faudrait construire entre 10 000 et 12 000 unités de logement à but non lucratif par année pour y parvenir. Cela nécessite une mobilisation sans précédent du secteur, des fonds autogérés, et une collaboration accrue avec les gouvernements et le secteur privé. Cela nécessite aussi une volonté plus ferme des gouvernements à investir dans le logement communautaire.
Une diversité de solutions adaptées aux réalités locales
Louis-Philippe Myre, d’Interloge, a plaidé pour une approche pragmatique et systémique, insistant sur la nécessité d’adopter une diversité de moyens pour répondre aux besoins variés des communautés. Selon lui, il ne suffit pas de viser la construction d’unités supplémentaires : il faut également consolider les organismes existants et intégrer une perspective générationnelle du développement. Cette vision inclut le développement de partenariats stratégiques, où des OSBL d’habitation qui développent en grande quantité collaborent avec des organismes spécialisés en intervention psychosociale pour rejoindre des clientèles avec des besoins particuliers.
Myre met également en garde contre une surdépendance au financement public : « Le bon programme offre du financement en abondance, de manière prévisible et encourage le recyclage du capital d’un projet à l’autre. Nous devons cesser de tout miser sur les subventions en mobilisant la valeur des actifs immobiliers communautaires et en acceptant d’élargir l’offre de logements communautaires à l’ensemble de la classe moyenne plutôt que seulement aux personnes les plus défavorisées ».
Inspiré par des exemples internationaux, il propose de concevoir un véritable écosystème de l’habitation communautaire, capable de générer de la richesse et de garantir l’abordabilité à très long terme.
L’abordabilité au cœur des préoccupations
L’un des points essentiels soulevés par les participants est la nécessité de maintenir l’abordabilité des logements dans le temps. Certains organismes comme Interloge, plutôt que de viser uniquement des loyers ultra-bas, proposent une logique d’échelle, où une part des unités pourrait être louée 150 % du loyer médian du marché et un autre à 25 %. Cette approche équilibrée permet de garantir la viabilité financière des projets tout en répondant aux besoins des populations les plus vulnérables.
Penser au-delà de la construction : consolider pour mieux croître
Une autre idée forte exprimée lors de l’atelier concerne la consolidation des structures existantes avant de se lancer dans des projets massifs. Elle plaide pour une réflexion sur la professionnalisation du secteur et la mutualisation des ressources. Le développement immobilier ne peut être détaché d’un plan global de gestion organisationnelle et de transfert intergénérationnel, afin de garantir la pérennité des projets.
Dans cet esprit, Michel Côté, Directeur général d’Immeuble Populaire de Québec, a souligné que des initiatives comme le Fonds PLANCHER représentent des leviers précieux pour soutenir cette transformation. En offrant une solution de financement flexible et adaptée, ces outils permettent d’accélérer le développement immobilier tout en renforçant les capacités des organisations. Comme il le rappelle : « Le meilleur programme est celui qui me permet de construire des logements. »
Cette approche, centrée sur l’équilibre entre innovation et pragmatisme, offre une perspective réaliste et inspirante pour le secteur.
Un appel à l’innovation et à la résilience
Les discussions de l’atelier ont également rappelé l’importance de briser les silos, de mutualiser les biens et services, et de favoriser des leviers de financement innovants. En misant sur des fonds autogérés, les organismes pourraient bénéficier d’une plus grande autonomie financière tout en renforçant leur résilience face aux fluctuations politiques.
Si certains intervenants insistent sur une approche entrepreneuriale ou la création de fonds de croissance, plusieurs soulignent qu’il est crucial de respecter la diversité des modèles, car chaque communauté a des besoins uniques qui demandent des réponses adaptées.
Bon nombre de participant.es à la discussion étaient d’avis que le Québec doit concevoir des programmes qui permettent non seulement de construire, mais aussi de maintenir et de faire évoluer les services comme le soulignait Marie-Maude Silvestre-Audette, Directrice générale de la Maison St-Dominique.
Inspiration et perspectives d’avenir
Des initiatives comme le projet Saint-Michel de la Société d’habitation des communautés noires, qui combine logements abordables, centre communautaire et développement durable, illustrent ce que le secteur peut accomplir lorsqu’il s’organise autour d’une vision commune. Avec un engagement citoyen fort et des modèles innovants, il est possible de construire un futur où le logement communautaire devient une norme plutôt qu’une exception.
Un autre exemple marquant est celui du Foncier solidaire Brome-Missisquoi, qui propose une solution unique à la spéculation immobilière. En dissociant la propriété foncière de la propriété bâtie grâce à des baux emphytéotiques*, ce projet permet de préserver l’accessibilité des terrains à long terme. Ce modèle innovant démontre que des approches ancrées dans la solidarité peuvent non seulement contrer les dynamiques spéculatives, mais aussi créer des milieux de vie inclusifs et durables.
*Bail emphytéotique: un contrat de location de très longue durée, entre 18 et 99 ans, donnant droits et responsabilités d’usage particuliers.
Construire l’avenir ensemble
En mettant en lumière des initiatives ambitieuses, des solutions innovantes et des visions audacieuses, le colloque a rappelé que l’objectif de 20 % de logements communautaires repose sur une action collective et déterminée. Pour y parvenir, nous devons renforcer les collaborations, consolider les structures existantes, et mobiliser toutes les parties prenantes — des organismes communautaires aux gouvernements, en passant par les citoyens.
Ensemble, il est possible de transformer le paysage de l’habitation au Québec et partout au pays pour garantir un avenir où le logement communautaire devient un pilier de l’inclusion sociale et économique.