À la mi-mars, la Société canadienne d’hypothèques et de logement a annoncé le « résultat » de son Initiative pour la création rapide de logements. L’ICRL, avec un budget de 1 milliard de dollars, créera ainsi 4777 logements (plus que la cible initiale de 3000) destinés principalement aux personnes sans-abris, à celles à risque de le devenir, ou à d’autres personnes vulnérables.
Depuis, les annonces des projets qui ont été acceptés dans le cadre de l’ICRL défilent, et les initiatives se mettront rapidement en branle un peu partout au pays. Nous espérons que ces projets arriveront à terme sans difficulté, parce que tant de gens en ont besoin.
Mais les projets de logements communautaires ou abordables sont à risque de se heurter à une opposition qu’on nomme NIMBY — le syndrome « not in my back yard », ou « pas dans ma cour », qui peut se résumer ainsi : « on » n’est pas officiellement contre un projet… Seulement, celui-ci serait plus approprié ailleurs que dans « son » quartier.
Dans les médias, les exemples de ce type de contestation sont nombreux, comme dans ce cas à Toronto, ou celui-ci à Saskatoon.
Le phénomène NIMBY est loin d’être nouveau, et évidemment, il ne s’applique pas qu’aux projets de logements communautaires. Toutefois, la SCHL s’en soucie, dans ce contexte, comme on peut le lire dans une note de recherche qu’elle a publiée en décembre 2020 : « le syndrome du ‘’pas dans ma cour’’ représente un obstacle potentiel à l’augmentation de l’offre de logements abordables visée par la Stratégie nationale sur le logement. Bien qu’une forte proportion de citoyens appuient, en principe, la construction de logements abordables dans leur ville, ils sont souvent peu favorables à la construction de logements abordables dans leur propre quartier. »
Les reproches les plus communs à l’encontre de nouveaux projets d’habitation sont, notamment, la peur de la diminution de valeur des propriétés existantes, de l’augmentation de la circulation, de l’augmentation de la criminalité, ou l’idée selon laquelle les nouveaux résidents seront trop différents de la population déjà établie. Généralement, ces peurs sont infondées.
Pour surmonter une opposition de type NIMBY, plusieurs guides ou ressources existent (par exemple, ici). Presque tous les experts le diront : l’élément clé, pour surmonter l’opposition, est souvent la communication, la consultation avec les résidents du quartier où un projet s’établira et la collaboration.
Mais quand les besoins sont aussi grands qu’ils le sont présentement, certains disent que le temps n’est plus aux discussions et à la concertation. C’est le cas de l’ancien p.-d.g de la B.C. Non-Profit Housing Association Kishone Roy. Dans une série de Tweets, rassemblés ici, M. Roy a souligné que beaucoup de gens qui ont besoin de logement social ne peuvent pas assister, pour différentes raisons, aux audiences de consultation prévues pour un projet. Il affirme aussi que « rien n’est mauvais avec ces projets. Le logement social ne cause aucun mal. Ni économiquement, ni physiquement, ni socialement. Les dommages arrivent quand et où le logement social n’existe pas. »
***
Il est aussi important de se rappeler que, bien que beaucoup de projets qui font face au « pas dans ma cour » sont des projets urbains, le NIMBY a aussi lieu dans les communautés rurales, où les besoins en logement sont tout aussi présents.
Le Centre a discuté récemment du sujet avec Fay Martin, de l’organisme Places for People (un de leurs projets, le Minden Tenant Inclusion Research Project, a obtenu une subvention de 47 500 $ de notre part). D’après Mme Martin, le NIMBY en milieu rural s’incarne de façon plus « personnelle » et fait ressortir les préjugés qui existent par rapport au statut de locataire, dans un monde où être propriétaire est très valorisé.
« Habituellement, quand on parle de NIMBY, c’est ‘‘nous, les personnes qui vivent dans nos jolis petits bungalows, ne voulons pas d’autre type d’habitation sur notre rue’’. Mais en réalité, c’est ‘’nous ne voulons pas de ce type de personnes ici’’ (…), croit Mme Martin. [En milieu rural], c’est une question de classe sociale. [Comme si] les ‘‘vraies personnes’’ étaient propriétaires. Et que si tu dois louer, tu étais de deuxième classe. Dans le comté, la plupart des logements locatifs sont des logements communautaires, et si tu dois louer un logement communautaire, ça voudrait dire que tu es ‘’moins que’’. Comme si les locataires étaient de mauvaises personnes. » Ce qui n’est évidemment pas le cas. Le logement est d’ailleurs essentiel pour aider les gens à surmonter différentes difficultés dans leurs vies.
Ainsi, la ligne avec la discrimination, dans beaucoup de cas de NIMBY, est très mince. En fait, la Commission ontarienne des droits de la personne traite justement du NIMBY comme d’un enjeu de droits de la personne.
Selon Statistique Canada, près de 284 000 personnes, représentant autant de ménages, étaient sur une liste d’attente pour un logement social ou abordable en 2018, ce qui représentait 2 % des ménages au pays. Sans compter tous ceux qui, n’étant pas sur une liste, espèrent un logement qui correspond à leurs moyens financiers. Vingt-deux pour cent des ménages canadiens, toujours en 2018, dépensaient plus de 30 % de leurs revenus sur leurs logements. Si on ajoute à cela les ménages qui vivaient dans des logements de taille inadéquate ou qui nécessitent des réparations majeures, le taux grimpait à 31 %. Plus d’un ménage canadien sur dix (11,6%) a des besoins impérieux en logement.
Comme l’a dit Kishone Roy sur Twitter, « les retards [dans les projets de] logement signifient la privation du logement. Ça fait déjà 30 ans que les retards s’accumulent. » Le Centre, bien sûr, valorise le dialogue et la participation. Mais nous valorisons aussi la transformation. Nous sommes d’ailleurs en train de réfléchir à comment nous pourrions traiter prochainement du sujet du NIMBY dans un webinaire.
Laissons le dernier mot ce mois-ci à Fay Martin. « Le NIMBY, c’est notre problème à tous, rappelle-t-elle. C’est notre [responsabilité] d’éduquer les gens aux raisons pour lesquelles le NIMBY est un phénomène coûteux, qu’on ne peut pas se permettre. On ne peut pas se le permettre parce que les gens ont besoin de maisons, et tout le monde a besoin d’un endroit où vivre. Si ce n’est pas à côté de chez toi ou de chez moi, ce sera à côté de chez qui? »
Bon mois de mai!
Ce texte fait partie de l’infolettre InfoCentre du mois de mai. Pour vous abonner à notre infolettre mensuelle, cliquez ici.