Alors que les régions rurales du Québec sont confrontées à des enjeux croissants tels que l’isolement social, la rareté des logements abordables et le vieillissement de la population, de nouvelles formes d’habitat émergent comme des réponses porteuses d’avenir. Parmi elles, le cohabitat suscite un intérêt renouvelé. À la croisée des préoccupations sociales, écologiques et économiques, ce modèle cherche à réinventer notre manière d’habiter ensemble.
Bien qu’il prenne racine dans divers contextes, le cohabitat connaît un essor particulier en milieu rural, où il répond à des besoins spécifiques tout en s’inspirant d’initiatives urbaines. Loin d’être une utopie marginale, le cohabitat rural fait aujourd’hui l’objet de démarches concrètes sur le territoire québécois. Un aperçu des initiatives émergentes permet de mieux comprendre son développement, d’observer quelques projets porteurs et d’explorer comment ceux-ci contribuent à bâtir des communautés de pratique vivantes et résilientes.
Des communautés solidaires et durables
Le cohabitat se distingue du logement collectif traditionnel ou des coopératives d’habitation par la combinaison de logements privés, d’espaces communs et d’une gouvernance participative. Il vise la création de communautés solidaires, intergénérationnelles et généralement ancrées dans des valeurs écologiques. Les habitants y partagent non seulement des infrastructures (salle communautaire, atelier, jardin, etc.), mais aussi des décisions et une vision commune du vivre-ensemble.
En milieu rural, ce modèle attire de plus en plus, porté par le désir de vivre autrement, l’envie de recréer du lien et de s’entraider au quotidien. Il répond aussi à des enjeux concrets : maintien des aînés à domicile, revitalisation des villages, mutualisation des ressources.
Cependant, le chemin vers la concrétisation n’est pas sans embûches. Les obstacles sont nombreux : cadres réglementaires inadaptés, difficulté d’accès au financement, manque d’infrastructures de base, complexité de la gouvernance collective, méconnaissance du modèle par les autorités locales. Malgré cela, plusieurs projets ont vu le jour ou sont en voie de réalisation. S’ils restent peu nombreux à l’échelle de la province, ils posent les fondations d’un mouvement en plein essor.
Tour d’horizon d’initiatives inspirantes
Pionnier de l’habitat collaboratif au Québec, le projet Cohabitat Québec réunit 42 ménages de tous âges dans un milieu de vie intergénérationnel où l’entraide et la convivialité occupent une place centrale.

Pensé pour favoriser les liens sociaux, le complexe comprend de nombreux espaces communs intérieurs et extérieurs comme une cuisine, une salle à manger, un salon, une buanderie, un atelier, un potager, une terrasse, un coin feu et des aires de jeux. Ces installations permettent aux résidents et résidentes de se rassembler, d’échanger et de partager le quotidien. Les repas communautaires, les activités collectives et la gestion coopérative du lieu renforcent le sentiment d’appartenance et la solidarité entre voisins.
L’organisation s’appuie sur une gouvernance participative inspirée de la sociocratie, où chacun peut s’exprimer et où les décisions se prennent par consentement. Des formations en communication non violente et en gouvernance partagée sont proposées à tous les nouveaux membres pour nourrir une culture commune d’écoute et de respect. Dans ce cadre de vie à échelle humaine, la valeur de base est la bienveillance, les responsabilités sont partagées et la vie collective devient une richesse au quotidien, une alternative concrète à l’isolement et à l’individualisme.
Implanté en milieu rural près du fleuve Saint‑Laurent, Cohabitat Neuville abrite une communauté multigénérationnelle d’une trentaine de personnes qui vivent ensemble sur un vaste domaine de 20 hectares. Les résidents sont collectivement propriétaires du terrain et chacun possède sa maison privée, mais toute la vie sociale se tisse autour de la maison patrimoniale commune, où sont organisés les repas partagés, des activités de jardinage, des ateliers, une érablière et des espaces de jeux. Animée par des valeurs de durabilité, la communauté cherche à réduire son empreinte écologique et à tendre vers une plus grande autonomie énergétique, notamment par le partage de ressources, une gestion réfléchie des consommations et l’adoption de pratiques respectueuses de l’environnement.

Autre exemple, le projet Nidazo à Frelighsburg, qui illustre bien comment l’habitat partagé peut s’ancrer de façon naturelle en milieu rural. Porté par une vision d’autonomie alimentaire, de sobriété énergétique et de vie communautaire, Nidazo cherche à revitaliser le village tout en respectant son patrimoine et son environnement.
L’initiative offre une réponse concrète à la crise du logement en milieu rural en regroupant 79 unités sous un modèle coopératif, non spéculatif et mixte : logements coopératifs locatifs abordables, coopérative de propriétaires, copropriétés et espaces partagés. Porté par un élan citoyen remarquable, il a permis de mobiliser plus de 1,7 million de dollars en obligations communautaires pour l’acquisition du terrain. La municipalité de Frelighsburg, où l’offre résidentielle est limitée, notamment en zone urbaine, soutient ce développement structurant, qui s’inscrit dans une approche durable et réfléchie de l’aménagement du territoire.

«Ce projet de cohabitat s’intègre à la philosophie de notre communauté : il favorise l’entraide, le partage et l’implication, tout en densifiant harmonieusement l’offre de logements dans le noyau villageois. La formule de cohabitat favorise la mixité, un atout pour la vie communautaire, et elle est très bien accueillie par les citoyens.» – Lucie Dagenais, mairesse de Frelighsburg.
Une communauté de pratique en construction
Au-delà des murs et des plans d’architecte, le cohabitat rural tisse des communautés humaines. Ces projets sont autant de laboratoires sociaux où s’inventent de nouvelles manières d’habiter ensemble, de s’entraider, de partager savoirs et ressources.
À travers l’accompagnement d’organismes tels que Village Urbain, des liens se créent entre projets : visites entre cohabitants, mentorat, échanges d’outils et d’expertises. Ces dynamiques favorisent l’émergence de communautés de pratique qui nourrissent la vitalité du mouvement et font avancer la reconnaissance institutionnelle du modèle.

Le Centre a, à quelques reprises, soutenu ce type d’initiative par le biais du Fonds de transformation du secteur et financé la création par Village Urbain d’un guide de bonnes pratiques pour le développement de cohabitats au Québec et au Canada, en s’appuyant sur des retours d’expérience et des solutions adaptées.
“Le cohabitat, en tant que type d’habitat participatif, est une réponse innovante aux défis sociétaux actuels tels que l’isolement social, le vieillissement de la population et la crise du logement. Village Urbain est très heureux de pouvoir bénéficier du financement du Centre pour mettre en place un programme d’accompagnement pour structurer, accélérer et solidifier ce type de projets de cohabitat, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain. Le guide développé à l’issue de cet accompagnement vise à devenir un outil de référence pour tous les groupes souhaitant développer leur cohabitat qui pourront y trouver toutes les clés pour développer avec succès leur projet. “
Justine Bouvier
Chargée de mobilisation et de consultation – Village Urbain

L’impact du cohabitat rural dépasse largement la question du logement. Ces initiatives favorisent des modes de vie plus écologiques, par la mutualisation des ressources, la sobriété énergétique, l’agriculture communautaire ; elles augmentent la résilience locale à travers l’entraide, l’économie circulaire, et l’ancrage territorial ; elles renforcent enfin le sentiment d’appartenance et l’engagement citoyen par ses principes de gouvernance démocratique.
Encore marginal au Québec, le cohabitat rural se révèle pourtant riche de promesses : face à l’urgence climatique, à la crise du logement et à l’effritement des liens sociaux, il propose des solutions concrètes pour un habitat plus collectif, humain et durable
Ces initiatives méritent un appui soutenu, tant pour les bénéfices qu’elles apportent à leurs résidents que pour leur capacité à transformer les territoires. Cela exige des politiques publiques ambitieuses, des mécanismes de financement adaptés et une reconnaissance institutionnelle claire de leur valeur sociale.
Soutenir le cohabitat rural, c’est miser sur des communautés qui prennent soin d’elles-mêmes et de leur environnement. C’est promouvoir des milieux où l’on choisit délibérément de vivre ensemble, autrement.