Un entretien avec Margaret Pfoh
Nous avons récemment discuté avec Margaret Pfoh, qui est Tsimshian du clan de l’Aigle de la Première Nation Gitga’at, au sujet de l’itinérance chez les Autochtones. Margaret s’est jointe au secteur du logement sans but lucratif il y a 25 ans et a été P.-D.G. de la Aboriginal Housing Management Association pendant trois ans. Elle est aussi membre du conseil d’administration du Centre de transformation du logement communautaire. Pendant ce mois national de l’histoire autochtone, nous voulions faire connaître à nos lecteurs ses observations sur d’autres sujets, dans cette entrevue éditée.
Sur la dépossession culturelle
Quand vous observez les effets des pensionnats et de la rafle des années 1960 — et de nos jours, de la prise en charge de nos enfants autochtones [par le système de protection de l’enfance] —, ça se résume essentiellement à la colonisation et à la dépossession de nos peuples de notre sentiment d’appartenance. Vous commencez à lutter intérieurement.
J’avais vu une publicité qui montrait un vétéran de guerre traversant la rue. Il se bat physiquement contre lui-même. Personne ne le voit parce que ça se passe dans sa tête, mais il se bat contre lui-même à chaque pas qu’il fait.
C’est ce qui arrive quand une personne est dépossédée de son sentiment d’appartenance, peu importe la cause. De mon côté, j’ai été aux soins du ministère dès ma naissance. Ils m’ont prise en charge à la table d’accouchement et n’ont même pas permis à ma mère biologique de me prendre dans ses bras. Ma famille d’accueil m’a finalement adoptée, et même si j’ai eu une famille fantastique, un sentiment d’appartenance à l’intérieur de la famille, j’ai toujours su que je ne n’étais pas vraiment à ma place.
D’une façon ou d’une autre, dans les premières années, quand vous avez une famille solide qui vous élève, comme si vous étiez pareille aux autres enfants de la famille, vous n’êtes pas nécessairement au courant que vous n’êtes pas à votre place, en réalité. Je ne savais pas que je n’étais pas blanche avant d’être assez vieille pour être taquinée et qu’on me donne des noms racistes. Comme « la squaw », « la sale petite Indienne », et vous savez, quand vous commencez à vous en rendre compte, vous commencez à penser : « bon, je ne suis pas à ma place ici, alors… »
Et alors, vous devenez comme ce vétéran dans la publicité, vous êtes en guerre à l’intérieur de vous-même tout le temps.
J’ai lu un rapport il y a environ un mois selon lequel il y a présentement plus d’enfants autochtones qui sont placés en familles d’accueil qu’il n’y en a jamais eu dans les pensionnats. C’est un grave constat pour l’avenir de notre population.
Sur la sécurisation culturelle
J’ai parlé à [une employée d’une] maison de transition à Williams Lake [C.-B.] au sujet [de la sécurisation culturelle] et elle m’a dit : « vous savez, quand nous [exploitons] nos refuges en tant qu’organisation autochtone, nous plaçons des objets qui marquent notre identité culturelle de façon bien visible dans nos maisons de transition et dans nos refuges. Alors, quand une femme autochtone vient à la maison de transition, la première chose qu’elle voit, c’est un capteur de rêve ou une couverture en étoile ou, vous savez, un élément qui démontre que cette organisation pratique et met en œuvre la sécurisation culturelle. »
Ça a l’air simpliste, mais c’est au cœur du [concept] pour les Autochtones, par les Autochtones. [For Indigenous, By Indigenous, ou FIBI en anglais, est essentiellement un appel à l’action mené par des Autochtones pour une stratégie en logement complète qui inclut les ménages autochtones qui, à 80 %, vivent loin des réserves. Cette initiative vise à éliminer le fossé en « besoins impérieux en logement » qui touche les Autochtones, particulièrement au nord du Canada.]
Par le fait d’être du même héritage culturel, même si nous sommes dépossédés de cette culture, le fait que j’ai eu ce cheminement, que vous avez eu ce cheminement, vous savez que cette bataille d’appartenance existe parce que vous n’êtes pas visible pour la majorité de la population. Alors, pouvoir être en mesure d’allouer du capital et des ressources humaines à des fournisseurs de services autochtones est une barrière de moins pour nos communautés qui luttent contre l’itinérance, parce que c’est émotionnel, c’est spirituel, c’est culturel. Et c’est seulement [une barrière de moins] qu’ils ont à [franchir] avant qu’ils commencent à s’attaquer [à n’importe quoi d’autre].
Pour les Autochtones, par les Autochtones
Je pense que la vraie bataille est la question du contrôle. Je pense que — et c’est à ce niveau que j’argumente avec tous les niveaux de gouvernement [pour qu’ils] comprennent que pour les Autochtones, par les Autochtones signifie que ce n’est pas suffisant que vous agissiez avec bienveillance du haut de votre privilège [particulièrement] si vous n’incluez pas le concept de sécurisation culturelle.
[Par exemple, ] je suis allée me battre, dans la ville de Mission [C.-B.], pour obtenir un permis de construction pour un de nos complexes d’habitation autochtone, et les représentants de la ville ne comprenaient pas.
Vous demandez [cela] à une communauté majoritairement allochtone, avec un maire et tout un conseil d’hommes blancs plus âgés, en essayant de leur expliquer que la création d’un établissement d’habitation autochtone pour une communauté autochtone est essentielle pour pouvoir retirer les barrières auxquelles les Autochtones [font face], et ils n’ont pas compris cela.
Ils disaient : « vous ne faites que créer des ghettos. » C’était leur crainte et leur réponse. [Qu’en] mettant tous ces pauvres Indiens ensemble, nous allions créer un ghetto. Comme c’est méprisant et stéréotypé de leur part de penser ça!
[Et] c’est au cœur de ce que fait le Caucus autochtone de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine. C’est la position de pour les Autochtones, par les Autochtones, [d’avancer] que si nous avons des fournisseurs de logements autochtones dans un secteur et que la population ciblée est autochtone, il est nécessaire d’avoir ces leaders autochtones à la table, pour aider à trouver les solutions.
Sur les barrières systémiques
Le zonage est un problème important parce qu’il a été organisé pour permettre la prospérité économique, qui, encore aujourd’hui, nourrit principalement un sentiment de communauté blanche et capitaliste.
Pourquoi est-ce que je devrais construire mon projet de logement autochtone pour notre communauté à cinq kilomètres du centre-ville, alors que la plus grande partie de notre communauté ne possède pas de voiture? Comment vont-ils aller travailler? Comment vont-ils aller à leur école? Comment vont-ils se rendre[là-bas]?
J’ai entendu cette histoire [à propos] d’une mère qui ne trouvait pas de logement sécuritaire dans la ville de Smithers [C.-B.]. Son enfant a été pris en charge [par le système de protection de l’enfance] et retenu à Smithers, mais la mère n’avait pas les moyens de payer le loyer nulle part sauf à Houston. Alors, elle vit à une heure [66 kilomètres] plus loin. Elle doit faire du pouce pour retourner à Smithers pour remplir ses obligations en réconciliation familiale, pour passer des entrevues, pour essayer de trouver un travail.
Et ce n’est pas une heure en métro, ce n’est pas une heure en autobus; parce qu’il n’y a pas d’autobus ni de métro. Nous parlons d’une heure sur une autoroute boisée, en forêt, où nos femmes et nos filles sont régulièrement portées disparues; il suffit de se renseigner sur la route des larmes [pour avoir une idée]. Elle doit faire du pouce pour retourner à Smithers.
Le système structure tellement de choses sans comprendre les barrières systémiques qui sont déjà en place pour les personnes marginalisées [et qui souvent les pousse encore plus profondément dans la pauvreté]. Les barrières systémiques auxquelles font face les communautés marginalisées sont tellement enracinées; jusqu’au zonage, jusqu’aux infrastructures.
Et quand nous commençons à regarder les choses à travers cette lentille, [on s’aperçoit que] le concept de la réconciliation économique est très important. Pour commencer à comprendre comment le système structure et marginalise nos communautés.
Sur la méfiance envers le vaccin contre la COVID-19
Un trait commun entre les gens qui ont une bonne éducation, un bon revenu, une bonne stabilité et notre population qui vit l’itinérance est la peur sincère [du vaccin contre la COVID-19].
Vous en entendez parler à propos des pensionnats, vous en entendez parler à propos des années 1960 : des enfants autochtones étaient utilisés comme objets d’étude pour de nouvelles préoccupations comme la nutrition et les vaccins. Même moi, j’ai eu un moment de doute à savoir si j’avais été un cobaye.
[Malgré cela], j’ai été vaccinée. J’ai parlé à plusieurs leaders qui ont aussi résisté au début. La personne qui s’occupe de mes relations avec les médias a tweeté [au sujet de] ma vaccination et plusieurs autres leaders autochtones ont montré publiquement leur vaccination.
Nous travaillons afin de vaincre ces peurs et ces barrières, parce que si nous les avons même en étant en position de privilège — je veux dire en étant éduqués et ayant un emploi —, imaginez [ce qui arrive à] une personne qui vit l’itinérance et qui se pose ces questions, et qui a des doutes et qui lutte contre des barrières, avant qu’elle se déplace pour obtenir le vaccin.
Les leaders autochtones doivent démontrer que [la situation] est plus importante que cette [peur]. Il s’agit de nous protéger. Il s’agit de protéger nos communautés. Il s’agit de comprendre que nous avons des taux plus importants de problèmes respiratoires sérieux. Et que ce vaccin peut vous sauver la vie.