Pour les personnes en situation de handicap, le mot « accessibilité » signifie beaucoup plus qu’une rampe ou un ascenseur. Des comptoirs aux portes des salles de bain, la plupart des possibilités d’hébergement ne tiennent pas compte de leurs besoins. Mais leur plus grand obstacle est de trouver un logement adapté et abordable. Un groupe de la ville de Québec travaille à faire tomber ces barrières à l’aide d’un répertoire de logements et d’une campagne de sensibilisation, et en incitant les constructeurs à adopter des normes de « conception inclusive ».
Par Jeanne Lemba
Trouver un logement convenable et abordable peut parfois prendre des années pour les personnes en situation de handicap, peu importe où elles vivent au Canada.
« À Québec, nous avons commencé à inventorier le territoire, et il y a peut-être 2,3 % des logements de la région [soit 3 500] qui sont accessibles et/ou adaptés, ce qui n’est pas beaucoup quand on parle d’une région qui a quand même 66 000 personnes qui vivent des incapacités fonctionnelles », dit le directeur général du Comité d’action des personnes vivant des situations de handicap, Dominique Salgado.
L’écart important entre l’offre et la demande signifie que la plupart des personnes à mobilité réduite sont mal logées, vivant souvent dans des logements de piètre qualité qui ne sont pas adaptés à leurs besoins. Les petites choses que les gens physiquement aptes tiennent pour acquises, comme faire la cuisine, couper des légumes sur le comptoir, allumer les lumières et entrer dans les pièces, sont des défis quotidiens qui exigent de la souplesse et de la résilience. L’absence d’une entrée accessible aux fauteuils roulants oblige beaucoup de gens à compter sur d’autres personnes pour les aider à entrer dans leur maison et à en sortir.
« La particularité des personnes handicapées, c’est que ce sont des gens très humbles, des personnes qui ne crient pas et qui ne dénoncent pas nécessairement les injustices. C’est pour ça que les organismes comme [le nôtre montent] aux barricades pour eux », affirme Salgado.
Établie à Québec, le CAPVISH œuvre à la promotion et à la défense des droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles.
Au-delà de l’accessibilité : le logement inclusif
La conception inclusive, aussi appelé design universel ou sans obstacle, se caractérise par un environnement facilement accessible et adaptable. Les personnes de toutes capacités peuvent en bénéficier.
Un bâtiment accessible est construit pour être accessible aux fauteuils roulants, ce qui peut comprendre des rampes, des portes automatiques, des ascenseurs. Mais pour vivre confortablement et dignement, les personnes à mobilité réduite ont besoin d’un logement adapté. Cela peut ressembler à un appartement avec des cadres de porte plus larges et aucun seuil de porte, ce qui permet d’accueillir un fauteuil roulant ou un tri/quadriporteur. Une personne confinée à un fauteuil roulant pourrait avoir besoin d’appareils d’éclairage plus bas et d’une salle de bain plus grande pour faciliter les déplacements ou la présence d’une personne qui s’occupe d’elle. Une maison inclusive permet de bénéficier d’un confort similaire à ce que les personnes physiquement aptes ont par défaut.
La construction d’habitations respectant les principes de base de la conception universelle est encouragée par les promoteurs, mais Salgado dit qu’il y a peu de véritables incitatifs. C’est l’une des raisons qui expliquent le manque de choix pour les personnes qui vivent avec des problèmes visuels ou de mobilité, ou qui veulent rester dans leur maison à mesure qu’elles vieillissent.
Laisser la situation à la discrétion des entrepreneurs est inacceptable. « C’est le temps d’allumer et d’investir dans le logement adapté », déclare Salgado.
Renverser la vapeur
Le CAPVISH est déterminé à renverser la vapeur une fois pour toutes grâce à un projet multifacette qui, espère-t-il, aura un impact profond sur tou.te.s les locataires vivant avec un handicap à Québec, et plus particulièrement dans l’arrondissement de La Cité-Limoilou. Le Centre de transformation du logement communautaire a accordé 50 000 $ pour appuyer la création d’uncomité logementqui s’attaquera aux problèmes de logement inclusif.
« Depuis le début, c’est [ce financement] qui nous permet de maintenir quelqu’un en poste pour coordonner tous les travaux en rapport avec la création d’un comité logement. Ce qu’on souhaite, c’est que le comité devient permanent », dit Salgado. « Le financement [du Centre] nous permet vraiment de favoriser la croissance et les idées du logement inclusif à Québec. »
Une vue d’ensemble du nombre réel de personnes handicapées vulnérables dans l’arrondissement de La Cité-Limoilou, le suivi du nombre de logements disponibles et abordables et la constitution d’un registre des services de proximité donneront crédibilité et orientation au comité logement lorsqu’il traitera avec des entrepreneurs et les autorités pour les inciter à construire des logements qui répondent aux besoins qui ont été identifiés.
En impliquant des locataires bénévoles dans la collecte de données, la création de podcasts, d’un blog, de cafés-rencontres et dans la production de reportages, le CAPVISH développe une stratégie participative et influente pour atteindre une participation citoyenne optimale. Environ 250 locataires y participeront directement. Ils feront du porte-à-porte pour obtenir des données auprès de 3 223 locataires.
« Avec cette consultation-là, on veut inspirer les acteurs socioéconomiques et la Ville de Québec [en leur offrant] des recommandations. On espère aussi tenir une consultation publique sur le logement, peut-être en 2023 ou 2024, en faisant la tenue d’un forum sur le logement accessible adapté à Québec. »
La Ville de Québec s’intéresse également au projet, affirme Salgado.
« On leur arrive avec un beau projet d’accompagnement, en disant : “on est prêt à prendre la balle au bond et à aller de l’avant avec un comité logement qui pourrait être permanent [et] devenir une table de concertation”. »
Progrès constants
Le travail est loin d’être terminé, mais il a déjà mené à la création d’une application, AppLOAD, créée pour et par des locataires en situation de handicap afin de répondre à la demande croissante pour des logements accessibles.
« Il y a deux choses qu’on souhaite procurer : c’est [le nombre de] logements et où ils sont, mais aussi, les logements vacants », précise Dominique Salgado.
Une partie du travail consiste à réseauter avec les propriétaires, les promoteurs et les intervenant.e.s — tant dans le secteur privé que dans le secteur du logement communautaire — et à demander à être tenus au courant des nouveaux logements existants qui deviennent vacants tout en tenant un registre des nouvelles constructions dans la région.
Plus important encore, explique Salgado, AppLOAD s’adapte à l’utilisateur : « On veut offrir à la personne [la possibilité] de pouvoir faire son propre choix [de logement] et non que l’État décide pour [elle]. »
Selon Salgado, c’est quelque chose qui se produit beaucoup trop souvent. Les personnes en situation de handicap sont parfois placées dans des foyers de soins de longue durée, ce qui est loin d’être idéal.
Mais Salgado est optimiste.
« Je pense qu’on a un bel organisme [et] une belle région. On a des gens qui ont besoin d’aide et on est là pour eux. »