Le quartier Parkdale, à Toronto, fait l’objet d’une recherche-action au sujet des changements observés dans le marché locatif depuis quelques années. Hausse des loyers, changements de propriétaires, changement dans les profils des locataires: le projet vise à rendre compte des expériences vécues par les résidents, par des histoires et des données, et ainsi, proposer des solutions issues de la communauté.
«Je ne peux que faire l’éloge de Parkdale », affirme Alykhan Pabani, un des chercheurs de l’équipe chargée du Projet de recherche-action communautaire sur les tours locatives de Parkdale (A Community Action Research Project on Tower Rentals in Parkdale) du Parkdale Neighbourhood Land Trust. Pourtant, le secteur, qui a longtemps accueilli des étudiants, des immigrants, des artistes, ou des gens de la classe ouvrière, et dont la population est en très grande proportion locataire, a grandement changé dans les dernières années.
« J’ai vu, dans l’édifice où j’habite, un changement radical dans le profil des locataires. En général, ils semblent [maintenant] plus riches. Il y a moins de familles, [plus de] personnes seules et de couples. Il y a moins de personnes non blanches qui déménagent dans le quartier », poursuit Pabani, qui habite le quartier depuis une dizaine d’années.
Et le prix des loyers a explosé. S’il devait déménager aujourd’hui dans un appartement identique au sien dans le même bâtiment, Alykhan Pabani affirme qu’il payerait presque le double. Le type de commerces établis dans le quartier a aussi beaucoup changé. Plus de chaînes, moins de petits magasins locaux reflétant la diversité de la communauté, qui est notamment connue comme le « petit Tibet ».
Ce quartier de Toronto fait parler de lui depuis quelques années. Situé à 6 kilomètres à l’ouest du centre-ville — un peu à l’est de High Park, entre l’avenue Roncesvalles et la rue Dufferin, enclavé entre le lac Ontario et la voie ferrée —son embourgeoisement a même attiré l’attention internationale avec un reportage publié par le quotidien britannique The Guardian au début 2020.
Son profil est particulier. Selon le dernier recensement de 2016, 86,6 % des ménages de South Parkdale — un territoire qui couvre la partie sud du quartier — sont locataires (contre 47,2 % dans tout Toronto). Près des deux tiers des ménages vivent dans des édifices d’appartements comptant 5 étages ou plus. Et un ménage sur deux (49 %) dépense plus de 30 % de ses revenus pour se loger (37 % pour tout Toronto).
En 2017, des locataires (dont Alykhan Pabani) ont fait une grève des loyers pour dénoncer les hausses de prix vertigineuses demandées par certains propriétaires, qui sont de grandes corporations immobilières. La mobilisation citoyenne a eu un certain effet : certains des propriétaires ont finalement reculé.
Mais la bataille ne s’est pas terminée à ce moment. Le nombre de logements abordables dans le quartier ne cesse de diminuer. Une étude du Wellesley Institute publiée en août 2020 affirme que les procédures d’éviction y sont parmi les plus nombreuses dans toute la ville.
Les familles et les aînés plus vulnérables
Le Parkdale Neighbourhood Land Trust, qui travaille à la protection de la diversité sociale, culturelle et économique de Parkdale en s’intéressant à l’usage et au développement du territoire, a voulu trouver des solutions à ces changements qui touchent particulièrement les familles — peinant à trouver des logements qui leur conviennent — et les aînés — particulièrement vulnérables aux aléas du marché locatif.
« Cette recherche est une première étape dans l’élaboration de solutions communautaires », avance Tendon Dongtotsang, qui coordonne le projet. Selon Dongtotsang, ce nouveau projet s’inspire d’une précédente recherche du Land Trust, entamée en 2016, et qui portait sur les maisons de chambres du secteur.
Ce travail avait fait bouger des choses. Après la recherche, la Ville de Toronto avait adopté l’amendement 453 au plan d’aménagement, incluant ainsi des protections pour les maisons de chambres de la ville. Le Land Trust avait aussi fait lui-même l’acquisition d’une maison de chambres, afin d’en assurer l’abordabilité pour toujours.
Accessibilité et implication communautaire
Le projet actuel implique grandement la communauté, à différentes étapes. Il se concentre sur les tours d’habitation, et cherche à documenter leur évolution et ce que leurs habitants ont vécu, en s’intéressant aux hausses des loyers, aux changements de propriétaires et dans les profils des locataires.
D’une part, une analyse du marché locatif privé de Parkdale sera effectuée par Martine August, de la University of Waterloo, et Scott Leon, du Wellesley Institute (deux chercheurs qui habitent eux-mêmes Parkdale). D’autre part, des locataires résidents à Parkdale, qui ne possèdent pas nécessairement d’expérience professionnelle en recherche mais qui sont intéressés par les questions de logement et qui ont été impliqués dans des mobilisations locales, effectueront des recherches ancrées dans la communauté. Alykhan fait partie de ces chercheurs.
Le projet a bénéficié d’une subvention de la part du Centre de 48 408 $, dans le cadre du fonds d’initiative d’aide communautaire aux locataires.
Déjà, un sondage conçu par et pour la communauté a rejoint 212 locataires, soit davantage que l’objectif visé par les organisateurs. Le porte-à-porte n’a pas été possible pour effectuer le sondage à cause de la COVID-19, mais l’équipe du projet avait plus d’un tour dans son sac : il a été mené par Internet, par téléphone et par formulaire papier. Par souci d’accessibilité, les démarches ont aussi été effectuées en tibétain, en hongrois et en tagalog (la langue de plusieurs Philippins).
L’équipe doit maintenant se pencher sur l’analyse des résultats et l’organisation de tables rondes avec la communauté, afin d’identifier des solutions aux problèmes et besoins exposés pendant la recherche. Les propositions de solutions se déclineront sous trois formes : des recommandations de politiques, l’élaboration de projet-pilotes communautaires et la conceptualisation d’un modèle de logement social adapté à la situation de Parkdale.
Pour Tendon Dongtotsang, la recherche ancrée dans la communauté est utile pour observer les problèmes systémiques. « Mais nous avons aussi besoin de stratégies à l’échelle du quartier et des outils politiques pour amener des changements vers des résultats sains, inclusifs et justes pour les nombreuses petites communautés de Parkdale. »
Elle est d’avis que la diversité, l’abordabilité et le caractère inclusif du quartier sont menacés par l’embourgeoisement. « Bien que le changement est inévitable, il faut, à travers notre travail et nos conversations de tous les jours, se demander qui en bénéficie et remettre en question comment il se réalise. J’espère que les gens de Parkdale vont continuer à s’inspirer et à se protéger les uns et les autres, et qu’ils vont penser à la communauté comme à une extension de leur famille ».