De ses débuts modestes, à dormir chez des ami.e.s ou dans sa voiture, à son élection au conseil municipal de St. John’s, la deuxième plus jeune personne élue à cette instance, notre chargée de programmes de Terre-Neuve-et-Labrador, Hope Jamieson, possède une expérience de première main de la précarité du logement.
Entrevue avec Hope Jamieson
Comment vous êtes-vous intéressé au logement ?
Lorsque j’allais à l’école secondaire, j’ai passé un certain temps à dormir d’un endroit à un autre et à vivre dans des conditions précaires. Puis j’ai fréquenté l’université et tout s’est effondré. J’ai donc connu l’itinérance à la fin de l’adolescence et au début de la vingtaine. Il m’arrivait de dormir sur le canapé des gens, ou encore dans ma voiture. Ayant vécu de l’instabilité, le logement est devenu pour moi un sujet très personnel et intime. Je sais combien il est difficile de se construire une vie lorsqu’on n’a pas un foyer stable pour s’y fixer.
Pendant cette période, je faisais beaucoup de militantisme. C’était au début des années 2000, c’était l’époque précédant les Jeux olympiques et il y avait beaucoup d’évictions. L’itinérance était déjà un problème grave, exacerbé par l’embourgeoisement qui a accompagné les Jeux olympiques. Nous nous organisions à un niveau très élémentaire, en gérant un centre de jour où l’on distribuait de la nourriture et des fournitures sûres. On aidait aussi de notre mieux les gens à lutter contre leur éviction. C’était une façon intéressante de s’engager dans le logement.
Comment vous êtes-vous engagé dans le logement à Terre-Neuve-et-Labrador ?
J’ai été élu au conseil municipal de ma ville en 2017 et j’y ai pris la direction du logement. Sur ce front, j’ai été en mesure de mettre en place de nouvelles initiatives passionnantes. Nous avons vraiment galvanisé le logement comme une priorité dans notre communauté d’une manière qui n’existait pas auparavant. C’est un bon changement à voir se produire. Notre vision de pour qui et comment le logement existe se transforme, et bien qu’elle ne soit certainement pas complète, la culture qui l’entoure commence à évoluer. Les gens considèrent le logement abordable comme un enjeu d’intérêt pour toute la communauté. Avec la COVID-19, beaucoup de personnes ont perdu leurs illusions : elles pensaient que les choses étaient stables, pour se rendre compte qu’elles ne l’étaient pas. Cela nous fait réaliser que, pour la plupart, nous ne sommes pas si loin d’un événement qui pourrait entraîner la perte de notre foyer.
Comment décririez-vous la situation du logement sur le marché locatif à T.-N.-L. ?
Quand on réfléchit à Terre-Neuve-et-Labrador, il faut penser en matière de zones rurales par rapport aux zones urbaines. Dans St. John’s (une ville), il y a des services tout au long du continuum du logement. Bien qu’il y ait des lacunes dans les services, par exemple, il n’y a pas de refuge qui vous accueillera si vous êtes une personne ayant de grands besoins et souffrant d’une dépendance active, les services allant du refuge à la coopérative ou au logement social existent. Cependant, beaucoup d’organisations dépassent leurs capacités parce qu’elles n’ont pas accès à un financement adéquat ou parce que ce avec quoi elles travaillent n’est pas vraiment adapté aux besoins actuels. Et il n’existe pas de services sans barrières pour les personnes qui ont plusieurs besoins complexes.
Et quelques défis en matière de logement social ?
Notre parc de logements sociaux a été principalement construit entre les années 1960 et 1980 et au plus tard dans les années 1990. Il a surtout été conçu pour des familles. Il s’agit donc d’unités de 3 ou 4 chambres à coucher. Mais la demande actuelle, en raison du vieillissement de la population et du succès des mesures de réduction de la pauvreté destinées aux familles, se traduit par des ménages plus petits. La personne type qui cherche un logement supervisé ou abordable est adulte et célibataire. Si elle n’a pas encore des besoins de mobilité, elle les développera au cours des 10 à 15 prochaines années. Les gens ayant des besoins complexes vieillissent plus rapidement.
Autre problème : les personnes âgées qui sont surlogées. Elles vivent dans le logement social où elles ont élevé leurs enfants, mais ces derniers ont déménagé. Elles se retrouvent donc seules dans des logements trop grands, avec plusieurs pièces, et bien que cela puisse sembler être une bonne situation, il n’y a tout simplement pas d’alternative abordable. Elles doivent donc payer le chauffage et cela peut devenir extrêmement problématique.
Le chauffage est-il cher à T.-N.-L. ?
Les tarifs de chauffage augmentent rapidement, et beaucoup de gens vivent dans une situation où ils ne peuvent pas payer leur facture d’électricité. Avec le nouveau projet hydroélectrique, les tarifs de l’énergie sont censés augmenter considérablement. Les dispositions de nos lois sur la location de logements sont telles que si l’électricité est coupée, c’est un motif d’expulsion immédiate. Le fait de ne pas payer votre facture d’électricité peut effectivement vous faire perdre votre logement. Et il y a une clause qui dit que si vous avez des arriérés, et que vous vivez avec quelqu’un d’autre et que la facture d’électricité est à son nom, on peut refuser l’électricité à cette personne parce que vous vivez là. La relation avec la Newfoundland Power est à l’origine de nombreux problèmes de logement.
Pouvez-vous nous parler des cycles de l’économie et de leur lien avec le logement ?
Les villes rurales sont souvent soumises à des cycles d’expansion et de ralentissement économiques. Par exemple, à Mary’s Town, sur la côte sud de Terre-Neuve, il y a un chantier naval. Lorsque le chantier naval obtient un gros contrat, les loyers augmentent considérablement. Les gens qui viennent travailler sur le chantier gagnent beaucoup d’argent et peuvent se permettre des loyers élevés, mais cela exclut les résidents locaux. Donc, pendant un cycle d’expansion, si vous devez déménager et que vous cherchez un nouveau logement, vous avez de gros problèmes. La structure de notre économie et son rapport avec le prix des logements posent un grand défi. C’est donc très difficile pour les personnes qui vivent dans les endroits où se trouvent ces moteurs économiques.
Avez-vous un contrôle des loyers ?
À T.-N.-L, nous n’avons pas de législation sur le contrôle des loyers. Donc, si votre propriétaire veut doubler votre loyer, il peut le faire, à condition de vous donner un préavis de six mois, et il ne peut augmenter le loyer qu’une fois par an. Le contrôle des loyers ferait certainement une énorme différence dans les communautés rurales qui sont sujettes à ces cycles d’expansion et de ralentissement. Malheureusement, il ne semble pas y avoir une grande volonté de s’attaquer véritablement à ce problème.
Qu’espérez-vous réaliser de spécifique à votre région dans votre fonction de chargée de programmes ?
Renforcer les capacités en matière de gestion de cas serait très important à St. John’s. Il y a beaucoup de logements sans aucun service de soutien. Et les organisations qui fournissent un soutien n’ont pas assez de capacité, ou ne collaborent pas de la manière la plus efficace. De plus, nous devons essayer de trouver un moyen d’améliorer la prestation de services et la collecte de données de façon synchronisée entre les organismes communautaires. Savoir qui accède à quel service, et à quoi ressemblent les parcours dans le continuum du logement peut nous aider à mieux planifier le système. Comprendre cette trajectoire, et ce qui pourrait manquer en cours de route permettrait de le faire avec une vision d’ensemble. Le simple fait qu’il y ait une personne du Centre dédiée à Terre-Neuve-et-Labrador en tant que personne-ressource pour servir ceux et celles qui cherchent des subventions est un excellent début.
Hope Jamieson a 15 ans d’expérience dans le domaine du service communautaire. Son intérêt pour le logement communautaire a commencé lorsqu’elle a travaillé avec des réfugiés et s’est poursuivi tout au long de sa carrière, en intervenant auprès de diverses populations à St. John’s (Terre-Neuve) et à Vancouver (Colombie-Britannique). En 2017, Hope a été élue au conseil municipal de St. John’s, devenant ainsi la deuxième plus jeune personne à être élue à ce poste. Elle était une experte en matière de conseil sur le logement abordable, l’accessibilité et l’inclusion, et elle a introduit les premiers programmes de réduction des risques de la ville. Hope met à profit ses connaissances en matière de mobilisation communautaire – sa passion – et met constamment l’accent sur des solutions créatives.