Le Centre d’amitié autochtone du Lac-Saint-Jean, à Roberval, au Québec, travaille à améliorer les conditions d’habitation des Autochtones, de plus en plus nombreux à quitter la réserve pour s’établir en milieu urbain, tout en entamant un dialogue avec les propriétaires de logements allochtones.
«Les propriétaires nous appelaient [pour dire] : ‘‘j’ai des problèmes avec telle personne, pouvez-vous me payer le loyer?’’, raconte la directrice générale du Centre d’amitié autochtone du Lac-Saint-Jean, Mélanie Boivin. On était comme : ‘‘Non, non, on ne fait pas ça’’. [On a réalisé que], quand il y a des problèmes avec les Autochtones, les propriétaires avaient d’emblée comme référence le Centre d’amitié. Et là, on s’est dit qu’il fallait soutenir ces gens. »
Ces gens, ce sont à la fois les Autochtones, qui risquent d’être victimes de discrimination et qui vivent parfois dans des conditions déplorables, et les propriétaires allochtones, qui n’ont pas tous les outils pour bien comprendre la situation. Le Centre d’amitié a donc mis sur place un projet de Coalition entre les locataires autochtones et les fournisseurs de logements, afin d’outiller les locataires autochtones et les propriétaires.
Pourtant, le Centre d’amitié ne faisait pas d’interventions de proximité avant qu’arrive la pandémie de COVID-19. « Au début, j’étais un peu surprise. Je ne voyais pas trop mon rôle là-dedans. Mais quand j’ai vu l’ampleur de la situation et quand j’ai vu de mes yeux le problème à l’intérieur des logements, je comprenais la détresse des propriétaires aussi », indique Mélanie Boivin. Elle dit avoir constaté, notamment, les traces de la violence conjugale vécue par certains locataires en faisant des visites à domicile. Il y avait urgence d’agir.
Éducation et dialogue
Le Centre d’amitié a entre autres élaboré un processus d’entente grâce auquel il fait le pont entre des locataires et des propriétaires. À la suite de cette entente, propriétaires et locataires partagent leurs insatisfactions ou leurs réussites. Le Centre d’amitié s’assure de faire des suivis, et de fournir les outils nécessaires à propos des droits et responsabilités de chacun.
« C’est pour qu’on puisse travailler ensemble à trouver des solutions à mettre en place et de la formation, de l’éducation, pour évoluer dans tout ça. Ça rassure les propriétaires », souligne Mélanie Boivin.
« On tente de prendre toutes les informations des différents organismes communautaires autour qui ont déjà des outils, — je ne veux pas réinventer toute l’information — mais on va utiliser ces outils-là et on va progresser selon les situations qui vont se présenter avec chacun des individus. Il y aura une panoplie d’ateliers qui vont se développer », poursuit la directrice du Centre d’amitié.
Éventuellement, une table de concertation permettra de discuter des enjeux vécus, ensemble. « C’est plus facile quand c’est chacun qui amène son point de vue et son expérience », croit Mélanie Boivin.
Pour les propriétaires, par exemple, le Centre d’amitié travaille avec un psychologue qui donne des formations en sécurisation culturelle, un élément important. « Il faut comprendre [les situations] et ne pas porter de jugement. Ce n’est pas toujours facile. »
Pour les locataires, il peut s’agir d’informations sur les relations de voisinages, le budget, ou la gestion des déchets, par exemple. « [Certains Autochtones] n’ont pas cette connaissance de rectifier au fur et à mesure les problématiques qui se présentent », précise Mélanie Boivin.
Au début du mois de mars, une douzaine de personnes participaient au programme de suivi et d’accompagnement. On devine les défis qui peuvent émerger au cours de ce travail. « C’est difficile quand même [d’offrir] ces services là sans heurter à un moment donné les gens dans leur liberté. C’est leur logement, c’est chez eux, il faut vraiment être délicat », souligne la directrice.
Discrimination et ouverture
Les locataires autochtones sont susceptibles d’être victimes de discrimination en matière de logement.
« Les propriétaires, ils pensent qu’on boit tout le temps », a récemment confié un Atikamekw vivant à Roberval au quotidien Le Devoir. « Dès qu’ils entendent des noms de famille atikamekw, ils ne veulent plus rien entendre », soulignait-il.
Mélanie Boivin admet que l’ouverture de certains propriétaires à entamer un dialogue avec les locataires autochtones est survenue « parce qu’ils se sont faits un peu coincer. »
« On a cette intervenante [allochtone] qui travaille avec nous dans le projet logement depuis le début. [Elle] appelait pour les logements et les gens voyaient son nom sur l’afficheur et elle prenait des rendez-vous et elle accompagnait les Autochtones. Elle ne disait pas ‘‘Je viens voir un logement avec un Autochtone’’. Les propriétaires faisaient tous les rendez-vous. Mais quand les Autochtones appelaient, c’était : ‘‘Ah non, [le logement] est loué, [ou] j’ai déjà une visite, une confirmation’’. [Et ils n’avaient] jamais de nouvelles.»
Avec les démarches établies par le Centre d’amitié, il est possible de mieux comprendre les différentes réalités des Autochtones et des propriétaires, et de trouver des terrains d’entente. Mélanie Boivin cite l’exemple d’une jeune femme autochtone qui souffrait de troubles d’attachement et qui a vécu de la violence conjugale.
« D’ordinaire, [s]a propriétaire n’acceptait pas d’animaux. Mais, on s’est dit, au lieu d’avoir [le] chum qui brise tout l’appartement, pis les chicanes, au moins il y aurait la possibilité d’avoir un petit chien, et la propriétaire a été ouverte à accepter ce chien-là. »
Le projet a reçu une subvention de 75 000 $ du Centre de transformation du logement communautaire.
Des projets de développement
Parallèlement, le Centre d’amitié autochtone du Lac-Saint-Jean, le Centre d’amitié autochtone du Saguenay et le Conseil de la Nation Atikamekw ont créé la Corporation de développement des Premiers Peuples. Leur but est de répondre aux besoins en logement des Atikamekw, entre autres par la construction de logements abordables.
Le projet Mishtik (« mishtik » veut dire « arbre » en innu et en atikamekw) vise la construction de 24 logements pour les familles à Roberval.
« Notre projet de logement, c’est des 5 ½, des 6 ½ et des 7 ½ [des appartements de 3, 4 ou 5 chambres], précise Mélanie Boivin. Parce que chez les familles atikamekw, avoir 5 ou 6 enfants, c’est fréquent. On amène une offre qui est vraiment essentielle en matière de logement à Roberval. ».
Mélanie Boivin soutient que l’offre en logements abordables de l’Office municipal d’habitation et ses critères ne correspondent pas aux besoins des Autochtones de la région.
Le projet de mise sur pied de la Corporation a obtenu une subvention de 125 000 $ du Centre.