Mon parcours m’a appris que la vie dans la réserve n’est pas facile, en revanche, elle offre une expérience à la fois unique et holistique. Je vis dans la Wood Mountain Lakota First Nation. C’est l’endroit que j’appelle chez-moi. Les maisons sont peut-être petites, mais elles sont remplies d’êtres chers. Le vent peut souffler par toutes les fentes et fenêtres, autant de prétextes pour préparer un chocolat chaud et s’asseoir devant la télévision. Dans ma réserve, nous recevions autre fois des boîtes de nourriture tous les mois, rien d’énorme, mais assez pour tenir le coup jusqu’à ce que nous puissions nous rendre en ville. Il n’est pas toujours commode de se rendre en ville, c’est un long trajet en voiture et c’est loin. Alors, pour trouver de la nourriture, il nous arrive souvent de partir dans la nature avec les enfants. Avant, je détestais la chasse, c’est beaucoup de travail et préparer l’animal sur place n’est pas très agréable. Avec le temps, j’ai appris à l’apprécier. Je me réjouis de voir la famille passer du temps ensemble sur la terre. Il y a quelque chose dans le fait de se connecter à la terre qui fait que l’on se sent chez soi.
Des enjeux vieux de plusieurs générations
Cependant, les bonnes choses ne l’emportent pas toujours sur les mauvaises, comme c’est le cas depuis des générations. L’accès à l’eau potable nous a posé des problèmes. Nos corps sont contraints de s’adapter à l’eau, nous ne pouvons ni boire ni cuisiner avec l’eau de nos robinets, car l’eau du puits n’est pas potable. Il y a une petite station d’épuration où nous pouvons obtenir de l’eau potable, mais ce n’est pas l’idéal, et nous espérons que la nouvelle station fonctionnera mieux.
Les fenêtres, le toit et le sous-sol ont besoin d’être finis, mais cela ne figure pas sur la liste des priorités. L’électricité vacille, peut-être à cause de problèmes de câblage, mais il arrive souvent que nous n’ayons pas de courant du tout, alors je ne me plains pas parce que c’est agréable d’en avoir. Les factures sont d’un coût alarmant. Le propane pour chauffer la maison est toujours cher. Si le chasse-neige ne vient pas tout de suite, nous sommes bloqués par la neige jusqu’à ce qu’il arrive.
Mon père vivait dans une petite maison. Elle me rappelait la petite maison dans la prairie. Son sous-sol n’était pas aménagé et les mouvements du sol ont causé des dommages importants. Il a été déplacé d’une maison inachevée à une autre, ce qui a aggravé son état de santé. La deuxième maison dans laquelle il a été transféré avait aussi un sous-sol inachevé. Lorsque des souris ont commencé à y aménager, il a adopté des chats pour contrer le problème. Cependant, on lui a diagnostiqué une maladie pulmonaire inflammatoire qui entraîne une obstruction de la circulation de l’air dans les poumons. Entretenir des chats n’était pas facile dans sa situation, mais il les a quand même gardés et son état de santé s’est aggravé. Il a dû se rapprocher de son médecin et a loué un petit appartement à proximité de l’hôpital. Ces difficultés, rencontrées dans la réserve et en dehors, ont entraîné son décès prématuré.
La terre et la propriété
Il est possible de louer ou de posséder une maison dans la réserve, mais il n’est pas possible de posséder le terrain. La terre appartient à la Couronne même si elle est réservée à l’usage de la Première Nation qui s’y trouve. Le Chef et le Conseil de bande n’en sont pas non plus propriétaires, leur pouvoir se limitant à en gérer les terrains. L’accession à la propriété chez les Premières Nations n’est possible que si l’on dispose d’un certificat de possession délivré par le chef et le conseil, une lettre indiquant que la maison se trouvant sur ces terres leur appartient, après quoi l’on peut demander à la Couronne de faire arpenter le terrain. Il s’agit d’un processus très long qui ne se concrétise généralement que si la réserve est suffisamment grande, ce qui n’est pas le cas de la plupart d’entre elles.
Les programmes comblent-ils les lacunes ?
Seules quelques banques disposent de programmes de prêts aux Premières Nations et aux bandes. En outre, certaines réserves disposent d’un programme pour les locataires, qui génère des revenus pouvant être utilisés pour réparer les logements actuels ou investir dans de nouveaux logements.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement offre également des possibilités de financement, dont une est dédiée au logement dans les réserves. Le Programme de logement sans but lucratif dans les réserves est accessible à toutes les communautés des Premières Nations et aide à construire des logements locatifs abordables dans les réserves.
Il existe aussi des mesures incitatives pour que les Conseils de bande fournissent des logements respectueux de leur culture, économes en énergie et spacieux, afin d’éviter le surpeuplement dans les réserves. Le logement, les infrastructures collectives (telles que l’eau, le traitement des eaux usées et autres), les initiatives de financement innovant et les stratégies de collaboration plus efficaces constituent une priorité pour le gouvernement du Canada depuis 2015, selon un rapport intérimaire du Comité permanent des peuples autochtones.
Pourtant, sept ans plus tard, en décembre 2022, Indigenous Corporate Training a publié un article de blogue qui passe en revue huit problèmes actuels liés au logement dans les réserves. Il s’agit notamment de la croissance rapide de la population entraînant surpopulation et problèmes de santé, l’isolement de nombreux logements, des problèmes d’approvisionnement en eau et la difficulté d’obtenir des assurances.
Un second rapport publié en juin 2022 par le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, intitulé Les effets de la pénurie de logements sur les populations autochtones au Canada, indique qu’il reste encore beaucoup à faire :
« Les familles sont privées de repos et de sommeil, et il y a une perte d’éducation due au coût élevé des services publics, qui a augmenté de façon spectaculaire au cours des derniers mois. Parfois, les familles doivent choisir entre le chauffage et l’éclairage de leur maison et l’achat de nourriture », écrit Stan Delorme, président de l’établissement métis de Buffalo Lake. Le rapport souligne également que « les ménages autochtones ont un taux de besoin impérieux de logement de 18 %, alors que la moyenne nationale est de 12,7 % ». Le recensement de 2016 a révélé que la moitié des Autochtones vivent dans un logement nécessitant des réparations et, en août 2021, l’Assemblée des Premières Nations a estimé les besoins dans les réserves à 55 000 nouveaux logements et 81 000 rénovations. »
Un chez-soi pour les Autochtones par les Autochtones
Ce dont nous avons besoin, c’est un engagement de la part de tous les membres de nos communautés à prendre des mesures en vue d’une vision commune des politiques de logement pour les Autochtones par les Autochtones. C’est la voie de solution que j’ai décidé d’emprunter lorsque je me suis inscrite à un stage au Centre de transformation du logement communautaire. Depuis lors, ma conviction de la validité de cette proposition n’a fait que s’approfondir.
Le logement pour les Autochtones par les Autochtones est le moyen par lequel ma maison sera heureuse, sécuritaire, connectée de façon holistique, durable et immuable. Pour la plupart des gens, rentrer chez soi signifie voir sa mère et son père, sa grand-mère et son grand-père. Parce que les miens ne sont plus parmi nous, c’est lorsque je marche sur les collines qui m’entourent que je ressens leur esprit. Je ressens aussi l’Histoire et le pouvoir des récits qui ont été partagé avec moi. C’est ici que je veux que mes enfants grandissent, je veux qu’ils connaissent ce sentiment de plénitude. Et si jamais ils me perdent, ils auront cette petite « rez house » et la terre qui l’entoure pour leur remonter le moral. Mon père m’a enseigné que plus nous nous connectons à la terre, plus nous avons le pouvoir de ressentir ceux qui nous ont quittés. Il m’a dit : « mon esprit vit à travers toi » et c’est en me connectant à la terre que je me retrouve chez moi.